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CHAPITRE VIII

Le Grand Quartier Général ; son rôle et sa situation


Le 25 mars j’arrivai au Grand Quartier et fus immédiatement reçu par Alexéiev.

Bien entendu, Alexéiev se sentait offensé.

— « Eh bien, puisque c’est l’ordre… »

De même qu’au ministère, j’exposai de nouveau les nombreux motifs qui s’opposaient à ma nomination, entre autres celui de n’avoir aucun goût pour le travail de chancellerie. Je demandai aude me dire son avis en toute franchise, sans considération de courtoisie, comme mon ancien professeur, car je ne voulais en aucun cas accepter ce poste contre son désir.

Alexéiev parlait poliment, mais sur un ton sec, offusqué et évasif : le terrain est vaste, le travail difficile, il faut y être préparé. « Tant pis, on travaillera ensemble… »

Mon long service ne m’ayant pas habitué à jouer un pareil rôle, je ne pouvais, bien entendu, consentir à envisager ainsi la question.

« Dans ces conditions je refuse catégoriquement d’accepter le poste. Et pour éviter des frottements inutiles entre vous et le gouvernement, je vais déclarer que c’est uniquement ma décision personnelle ».

Soudain, Alexéiev changea de ton :

« Non, je vous prie de ne pas refuser. Nous travaillerons ensemble ; je vous aiderai ; enfin, si vous ne vous plaisez pas à la besogne, rien ne vous empêchera, dans quelque deux mois, de partir pour la première armée où il y aura un poste vacant. Il faut seulement causer avec Klembovsky ; il est certain qu’il ne voudra pas rester comme second… »

La fin de l’entretien fut un peu moins froide.

Cependant, deux jours s’étaient passés et je ne recevais toujours aucune réponse. Je vivais dans un wagon-hôtel, n’allais ni au Grand Quartier, ni au mess[1] et, enfin, ne voulant plus supporter cette situation absurde et imméritée, je m’apprêtai à repartir pour Pétrograd. Mais, le 28 mars, le Ministre de la Guerre vint au G.Q.G. et trancha le nœud gordien : on proposa à Klembovsky soit le commandement d’une armée, soit un poste au Conseil militaire. Il

  1. « Il se barricade », plaisantait-on au G.Q.G. où l’on suivait avec anxiété la marche des négociations.