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ordre, ainsi que tous les malentendus survenus entre officiers et soldats, doivent être portés par ces derniers à la connaissance du comité de la compagnie.

Signé :


Le Conseil de Pétrograd
des Délégués des Ouvriers et des Soldats.


Les conséquences de l’ordonnance n° 1 furent fort bien comprises par les chefs de la démocratie révolutionnaire. On dit que plus tard Kérensky aurait déclaré avec emphase qu’il eût volontiers donné dix ans de sa vie pour que cet ordre ne fût pas écrit… L’enquête faite par les autorités militaires n’en a pas « révélé » les auteurs. Tchéidzé et les autres piliers du Soviet de Pétrograd ont nié plus tard leur participation personnelle et celle des membres du Comité Exécutif à la rédaction de l’ordre.

Les Pilate ! Ils s’en lavaient les mains, répudiant l’expression même de leur credo. Car le compte rendu de la séance secrète tenue par le Gouvernement, les généraux en chef et le Comité Exécutif du Soviet, le 4 mai 1917, reproduit leurs propres paroles : ([1])

Tsérételli : « Vous auriez, peut-être, compris l’ordre n° 1, si vous aviez connu les conditions dans lesquelles il fut promulgué. Nous avions devant nous une foule désorganisée, et il fallait l’organiser… »

Skobelev : « Je crois nécessaire d’expliquer les conditions dans lesquelles fut promulgué l’ordre n° 1. Dans les troupes qui avaient renversé l’ancien régime, le commandement n’avait pas adhéré à ceux qui s’étaient soulevés, et pour le rendre inoffensif, nous fûmes obligés de promulguer l’ordre n° 1. Au fond, nous étions assez inquiets de l’impression qu’il produirait au front. Les dispositions que nous prescrivions inspiraient des inquiétudes. Aujourd’hui nous nous sommes convaincus que ces inquiétudes étaient fondées. »

Avec plus de franchise encore s’est exprimé Joseph Goldenberg, membre du Soviet et rédacteur de la Novaïa Jizn. Il disait à un journaliste français, M. Claude Anet : ([2])

« L’ordre n° 1 n’était pas une erreur, c’était une nécessité. Il n’a pas été rédigé par Sokolov ; il est l’expression unanime de la volonté du Soviet. Le jour où nous « avons fait la révolution », nous avons compris que si nous ne détruisions pas l’ancienne armée, elle écraserait la révolution. Nous avions à choisir entre l’armée et la révolution. Nous n’avons pas hésité : nous nous sommes décidés pour cette dernière et nous avons employé — j’ose affirmer — le moyen qu’il fallait. »

Que l’ordre n° 1 se soit si vite propagé partout au front et à l’arrière, cela s’explique par le fait que les idées qu’il énonçait étaient mûries et cultivées de longue date, — aussi bien dans les organisations clandestines de Pétrograd que dans celles de Vladi-

  1. V.chapitre XX.
  2. Claude Anet. La révolution russe.