Cependant, ces modifications insignifiantes du statut interprétées par les soldats dans un sens plus large que de raison, — ne faisaient qu’exercer une influence plus ou moins sensible sur la discipline. Mais l’autorisation accordée aux militaires, en temps de guerre et de révolution, « de participer, en tant qu’adhérents, à différentes unions et sociétés fondées dans un but politique », constituait une menace directe à l’existence même de l’armée.
Le Grand Quartier, inquiet de cette mesure, eut recours à un moyen de plébiscite sans précédent dans l’armée : tous les chefs, à partir des colonels, commandants des régiments, furent invités à se prononcer au sujet des nouveaux décrets et à télégraphier leur avis directement au Ministre de la Guerre. J’ignore si le télégraphe vint à bout de sa tâche, si l’immense quantité de télégrammes parvint à destination, mais tous ceux dont j’ai eu connaissance exprimaient la désapprobation et l’inquiétude pour l’avenir de l’armée.
Cependant, à Pétrograd, le Conseil militaire, composé des généraux les plus anciens — censés être les dépositaires de l’expérience et des traditions de l’armée — décida, dans sa séance du 10 mars, de porter à la connaissance du Gouvernement Provisoire la déclaration où il disait entre autres :
« … Le Conseil militaire croit de son devoir d’affirmer son entière adhésion aux mesures énergiques que le Gouvernement Provisoire entreprend en vue de la réforme de nos forces armées, conformément à la nouvelle ordonnance de la vie de l’État et de l’armée ; il est convaincu que ces réformes contribueront pour une forte part à la victoire la plus prompte de nos armes et à l’affranchissement de l’Europe du joug du militarisme prussien. »
Je ne peux, après cela, ne pas comprendre la situation dans laquelle se trouvait le ministre civil.
Nous avions peine à comprendre les motifs dont s’inspirait le Ministre de la Guerre en promulguant ses décrets. Nous ignorions alors l’opportunisme sans bornes des personnes qui entouraient le Ministre de la Guerre ; nous ignorions que le Gouvernement Provisoire était prisonnier du Conseil des délégués des ouvriers et des soldats, qu’il était entré, à l’égard de ce dernier, dans une voie de compromis et que c’était, presque toujours, lui qui était le vaincu ([1]).
Le 1er mars, le Conseil des délégués des ouvriers et des soldats promulgua l’ordonnance n° 1, qui eut pour résultat de faire passer le pouvoir effectif aux comités des soldats, d’instaurer le principe électif
- ↑ Au Congrès des Soviets (le 30 mars 1917), Tsérételli reconnut que dans la commission mixte (dite commission « de contact »), il n’y eut pas une seule question importante dans laquelle le Gouvernement Provisoire n’eût pas fait de concession.