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On n’en parle qu’avec prudence, mais on peut remarquer dans l’esprit des masses des tendances parfaitement déterminées qui sont les suivantes :

1° Le retour au passé est impossible.

2° Le pays aura une forme d’État digne d’un grand peuple ; probablement une monarchie constitutionnelle ;

3° Il faut mettre fin à la mainmise allemande et continuer la guerre jusqu’à la victoire. »

L’abdication de l’empereur fut considérée comme la conséquence fatale de toute notre politique intérieure des dernières années. Cependant, il n’y avait aucune haine personnelle ni contre le tsar ni contre la famille impériale. Tout était oublié et pardonné. Au contraire, tout le monde s’intéressait à leur sort et s’inquiétait de leur sécurité.

La nomination du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch au poste de généralissime et du général Alexéiev au poste de son chef d’état-major trouva un accueil parfaitement favorable tant parmi les officiers que parmi les soldats.

On était curieux de savoir si l’armée serait représentée à l’Assemblée Constituante.

La composition du Gouvernement Provisoire ne suscita aucun intérêt ; on se montra seulement mécontent de ce que le Ministère de la guerre fût confié à un civil ; cependant, la part qu’il avait prise aux travaux de la défense nationale et ses relations étroites avec les milieux militaires rassuraient l’opinion.

Certains trouvent étonnant et incompréhensible que l’effondrement d’un régime monarchiste séculaire n’ait provoqué dans l’armée, élevée dans l’esprit de ses traditions, ni lutte, ni même aucun mouvement de protestation, — que l’armée russe n’ait pas créé sa Vendée…

Je ne connais, quant à moi, que trois cas de protestation véhémente : la marche du détachement du général Ivanov sur Tsarskoé Sélo — manœuvre organisée par le G.Q.G. dans les premiers jours des troubles, exécutée très maladroitement et bientôt suspendue, — et deux télégrammes envoyés à l’empereur par les commandants du 3ème corps de cavalerie et du régiment de la garde, le comte Keller ([1]) et le Khan de Nakhitchevan. Tous les deux se mettaient avec leurs hommes à la disposition de l’empereur pour réprimer la sédition…

Ce serait une erreur de croire que l’armée eût été préparée à accepter, une « république démocratique » provisoire, qu’elle eût manqué d’unités et de chefs « fidèles », prêts à lutter. Certes, ni les unes, ni les autres ne faisaient défaut. Mais deux circonstances les arrêtaient : d’abord, l’apparence loyale des deux actes d’abdication dont le deuxième, en outre, invitant à se soumettre au Gouvernement.

  1. Tué en 1918, à Kiev, par les soldats de Petlioura.