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fermes, fixés par le gouvernement pour les produits agricoles, avec des amendements au profit de la grande propriété foncière, au commencement, et, plus tard, les abus dans l’application du système des prélèvements et des corvées de blé ainsi que le manque d’échanges avec la ville, — tout cela aboutissait à l’arrêt des arrivages de blé, à la famine dans les villes et aux répressions dans la campagne.

La classe des fonctionnaires et des employés souffrait en murmurant de la hausse des prix et de l’insécurité de sa situation…

Les nominations des ministres surprenaient par leur choix imprévu et semblaient une dérision. Le pays, par la bouche de ses meilleurs représentants et de la Douma d’Empire, demandait un ministère responsable. Ce minimum des revendications politiques de la société russe était encore considéré par la Douma, dans la matinée du 27 février, comme suffisant pour retarder « l’heure suprême où se décideraient les destinées de la Patrie et de la dynastie » (1).

L’opinion publique et la presse étaient étouffées. La censure militaire des zones intérieures (y compris celles de Pétrograd et de Moscou), étendait à l’extrême les bornes de sa juridiction et demeurait inattaquable, se couvrant de l’état de guerre proclamé dans ces régions. La censure générale sévissait avec non moins de rigueur. Dans une de ses séances, la Douma eut à examiner le fait stupéfiant que voici : lorsque, au mois de février 1917, le mouvement gréviste s’étendit, non sans la participation des Allemands, dans les usines et les fabriques, les membres de la section ouvrière du comité de l’industrie militaire rédigèrent l’appel suivant :

« Camarades, ouvriers de Pétrograd ! Nous considérons comme de notre devoir de vous adresser le présent appel vous invitant à reprendre immédiatement le travail. La classe ouvrière, consciente de la responsabilité qui pèse sur elle en ce moment, ne doit pas affaiblir ses forces en prolongeant la grève. Les intérêts de la classe ouvrière vous appellent à vos établis. »

Malgré les démarches que Goutchkov (2) fit auprès du ministre de l’Intérieur et du censeur en chef, cet appel fut deux fois retiré de la presse et ne fut pas autorisé…

Lorsque, en étudiant l’œuvre économique du gouvernement déchu, il s’agira d’examiner et d’élucider la question de savoir quelle part de responsabilité revient aux dirigeants et au régime et quelle part à l’état irrémédiable de l’organisme national bouleversé par la guerre mondiale, on ne saura trouver aucune justification au système qui consistait à étouffer la conscience, la pensée, l’esprit du peuple et l’initiative sociale.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Moscou et la province se