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CHAPITRE IV

La révolution à Pétrograd


Les événements qui se sont déroulés à Pétrograd et au Grand Quartier ne me furent connus que plus tard. Je les mentionnerai brièvement pour la suite du récit. Dans le télégramme adressé à l’empereur par des membres du Conseil d’Empire, dans la nuit du 24 février (13 mars), la situation était résumée comme suit :

« À la suite de la désorganisation totale des transports et faute d’arrivage des matériaux indispensables, les usines et les fabriques se sont arrêtées. Le chômage forcé et l’extrême aggravation de la crise du ravitaillement, causés également par la désorganisation des transports, ont poussé les masses du peuple au désespoir. Ce sentiment se trouve aggravé par la haine contre le gouvernement et les pénibles soupçons à l’égard du pouvoir qui ont profondément pénétré dans l’âme du peuple.

« Tout ceci a revêtu la forme d’une sédition populaire spontanée, et les troupes se joignent à présent à ce mouvement. Le gouvernement, qui n’a jamais joui de confiance en Russie, est définitivement discrédité et absolument impuissant à se rendre maître de la situation menaçante. »

Les préparatifs de la révolution, qui trouvaient un terrain favorable dans les conditions générales de la vie du pays, se poursuivaient, directement ou indirectement, depuis longtemps. Les éléments les plus hétérogènes y prenaient part : le gouvernement allemand, qui s’employait de toutes façons à soutenir la propagande socialiste et défaitiste en Russie, surtout parmi les ouvriers pétersbourgeois ; les partis socialistes qui constituaient des « noyaux » parmi les ouvriers et les troupes ; et aussi, sans aucun doute, le ministère Protopopov, qui, disait-on, cherchait à provoquer une action directe, afin de la réprimer par la force armée et détendre l’atmosphère devenue irrespirable. Il semblait que toutes ces forces, mues par des considérations diamétralement opposées, eussent poursuivi, par des voies et des moyens différents, le même but final…

Entre temps, le bloc progressiste et les organisations sociales, étudiant les prodromes de graves événements, commençaient à se préparer, et certains groupements, personnellement ou idéologiquement proches de ces organisations se mirent, comme je l’ai