cratique » sa naissance au sein d’une « séance privée de la Douma d’Empire », elle avait été établie sur une base si mal agencée que des crises répétées devaient sûrement l’abattre, sans qu’il subsistât aucune continuité. Enfin, un gouvernement émané réellement du « peuple tout entier » n’aurait pu rester isolé, abandonné de tous, à la merci d’une bande d’usurpateurs. Et c’était cependant ce même gouvernement qui avait avec tant de facilité été universellement reconnu, au mois de mars. On l’avait reconnu — mais on ne le soutenait pas effectivement.
Depuis le 3 mars jusqu’à l’Assemblée Constituante, toute autorité suprême a eu les caractères d’un pouvoir usurpé ; aucune autorité n’eût été capable de contenter tous les classes de la société ; leurs intérêts étaient inconciliables, leurs aspirations immodérées.
Aucune des institutions qui gouvernaient (Gouvernement provisoire, Soviet) n’avait pour elle l’appui de la majorité. En effet, cette majorité (les 80 % de la population) a déclaré, par la bouche de son représentant à l’Assemblée Constituante, en 1918 : « Nous autres paysans, nous ne distinguons pas entre les partis ; les partis luttent pour le pouvoir nous autres moujiks, nous n’avons qu’un souci : la terre[1] ». D’ailleurs, même si le gouvernement provisoire, devançant l’Assemblée Constituante, avait pleinement réalisé les vœux de la majorité, il n’aurait pu réussir à la subordonner aux intérêts généraux du pays, il n’aurait pu compter sur son appui effectif. La classe paysanne, absorbée par une transformation matérielle qui intéressait vivement aussi la majeure partie de l’armée, n’aurait pas donné, de plein gré, à l’État, les forces et les moyens dont il avait besoin pour consolider son pouvoir — c’est-à-dire du blé en abondance et de nombreux soldats, courageux, dévoués et disciplinés. Et le gouvernement se fût trouvé en face des mêmes problèmes insolubles : une armée qui ne veut pas se battre, une industrie qui ne produit rien, des moyens de transport complètement désorganisés et… la guerre civile entre les partis.
Laissons cette question de l’origine démocratique et populaire du pouvoir provisoire : l’usurpation se retrouve dans l’histoire de toutes les révolutions et de tous les peuples. Le fait d’avoir été largement reconnu donnait au gouvernement provisoire un avantage considérable sur les autres groupes qui lui disputaient l’autorité. Cette autorité aurait dû, entre ses mains, être assez forte, assez absolue, assez autocratique, pour écraser par la violence, par les armes même, toutes les oppositions agissantes, pour amener le pays au seuil d’une Assemblée Constituante élue dans des conditions qui eussent prévenu toute falsification des suffrages, et, enfin, pour protéger cette Assemblée.
Pour justifier maints phénomènes révolutionnaires, nous avons,
- ↑ Journal d’Oganovsky.