une heure, une autre… On ne veut pas nous laisser partir ainsi. On demande un wagon-prison. Il n’y en a pas à la gare. La foule menace les commissaires. Kostitsyne est quelque peu malmené. Voici un wagon de marchandises, tout embrené de crottin — quelle bagatelle ! Nous y montons, sans marchepied. On a peine à y hisser le malheureux Orlov. Les mains, par centaines, cherchent à nous happer, à travers le cordon pressé et résistant des élèves officiers… Il est déjà dix heures du soir… La locomotive s’ébranle. La foule mugit plus fort. Deux coups de feu. Notre train part.
Les bruits s’assourdissent ! Les lumières s’estompent ! Adieu, Berditchev !
Kérensky versa des larmes d’attendrissement sur le dévouement de « nos sauveurs » — c’est ainsi qu’il appelait non pas les élèves officiers, mais les commissaires et les membres des comités. « Quelle ironie du destin ! Le général Dénikine, arrêté comme complice de Kornilov, a été protégé contre les soldats furieux par les membres du Comité exécutif du front sud-ouest et par les commissaires du gouvernement provisoire. Je me rappelle l’émotion que nous avons éprouvée, l’inoubliable Doukhonine et moi, à la lecture du rapport mentionnant qu’une poignée de ces braves gens avait escorté les généraux prisonniers à travers une foule innombrable de soldats avides de leur sang »… À quoi bon calomnier un mort ? Doukhonine s’inquiétait sûrement du sort des détenus autant que de celui… de leurs gardiens révolutionnaires…
À travers la brume des temps, Ponce Pilate, citoyen romain, souriait malignement…