La curiosité des passants nous mettait au supplice. Puis on nous mena au Mont Chauve ; l’auto alla longtemps à l’aventure, s’arrêta devant divers locaux. Enfin elle stoppa devant le corps de garde principal. Il fallut traverser un groupe d’une centaine d’hommes qui attendaient notre arrivée et dont les regards étaient chargés de haine : ils nous injurièrent grossièrement. On nous mit dans des cachots séparés. Kostitsyne m’offrit très aimablement de me procurer tout ce qui me serait nécessaire. Je refusai sèchement ses services. La porte se ferma avec fracas ; la clef tourna bruyamment dans la serrure ; je restai seul.
Quelques jours après, le Grand Quartier Général était dissous. Kornilov, Loukomsky, Romanovsky et d’autres furent jetés en prison, à Bykhovo.
La démocratie révolutionnaire triomphait.
D’autre part, à la même époque, le gouvernement ouvrait toutes larges les portes des geôles de Pétrograd. La liberté était rendue à nombre de bolcheviks influents qui allaient pouvoir, sans se cacher, travailler à l’anéantissement de l’État russe.
Le 1er septembre, le gouvernement provisoire fait arrêter le général Kornilov ; le 4, il met en liberté Bronstein-Trotsky. La Russie ne doit pas oublier ces deux dates.
Cellule n° 1. Superficie : dix archines carrées. Une fenêtre grillée. À la porte, un petit judas. Un lit de camp, une table, un escabeau. À côté, la cellule n° 2. C’est là qu’est enfermé Markov. Il se promène, à grands pas nerveux. Jusqu’à maintenant — je me demande pourquoi ! — je me rappelle qu’il faisait trois pas dans son cachot : moi, j’arrivais à en faire sept, en obliquant. La prison résonnait des bruits indistincts. En tendant l’oreille, on les précise ; peu à peu, on perçoit le fonctionnement de la vie, les sentiments des hommes même. La garde est composée de gens grossiers, haineux.
C’est le matin, très tôt. Une voix bourdonne. Où ? À la fenêtre, deux soldats se sont accrochés à la grille. Ils me regardent de leurs yeux cruels et méchants ; ils me crient, d’une voix hystérique, d’abominables injures, ils ont jeté par la fenêtre quelque immondice. Où fuir ces regards ? Je me tourne vers la porte — au judas, deux yeux pleins de haine ; de là aussi partent d’affreux jurons… Je m’étends sur mon lit, la tête sous ma capote. Je reste ainsi des heures. Toute la journée, les « accusateurs publics » se succèdent, à la fenêtre et à la porte — la garde laisse passer tout le monde. Dans ma niche étroite, où l’air est étouffant, se répand un flot nauséabond de paroles, de cris, d’insultes que ces lâches puisent dans leur ignorance sans bornes, dans leur haine imbécile, dans leur grossièreté insondable. Des vomissements d’ivrogne semblent inonder mon âme.