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Markov, en même temps que moi, adressa au gouvernement une dépêche où il souscrivait à mes déclarations ([1]).

Je demandai aussi au Grand Quartier Général en quoi je pouvais seconder le général Kornilov. Ce dernier savait bien qu’à part mon appui moral, je ne disposais d’aucun moyen réel ; il me remercia, sans rien exiger.

Je donnai l’ordre d’adresser copie de ma dépêche à tous les commandants en chef, aux commandants d’armée du front Sud-Ouest et au chef de l’approvisionnement. Je prescrivis également de veiller à ce qu’aucun renseignement sur les événements de Pétrograd ne parvînt à mes armées, sans passer par l’état-major, jusqu’à ce que le conflit fût liquidé. Le Grand Quartier avait donné des instructions dans ce sens. L’état-major, cela va sans dire, faisait les vœux les plus ardents pour la réussite de Kornilov ; tout le monde attendait des nouvelles de Mohilev avec une impatience fiévreuse, tout le monde espérait encore un heureux dénouement.

Il n’entrait pas dans nos plans de procéder à des arrestations ; c’eût été superflu. On n’arrêta personne.

Cependant la démocratie révolutionnaire du front était sens dessus dessous. Les membres du Comité quittèrent cette nuit même le local où ils étaient installés, pour aller coucher chez des particuliers, dans les faubourgs. Les adjoints du commissaire étaient partis en mission. Quant à Jordansky, il se trouvait à Jitomir. Markov le pria de venir à Berditchev, il ne se dérangea pas ; une seconde invitation, le 28, ne réussit pas davantage. Jordansky craignait « des machinations insidieuses ».

La nuit tomba — interminable nuit d’insomnie, de réflexions pénibles et d’attente angoissée. Jamais l’avenir du pays ne nous avait paru si sombre ; jamais le sentiment de notre impuissance ne nous avait pareillement écœurés et accablés. Le drame historique qui se jouait là-bas, c’était comme un orage dans le lointain ;

  1. Les commandants en chefs des autres fronts adressèrent au gouvernement provisoire, le 18 août, des dépêches très franches, dont les extraits qui suivent indiqueront la tendance : Le général Klembovsky, commandant du front nord :… « J’estime extrêmement dangereux un changement dans le commandement suprême à l’heure où l’ennemi menace le territoire de notre patrie et notre liberté: Le moment exige l’application immédiate de mesures susceptibles de relever la discipline et la force de l’armée ». Le général Balouev, commandant du front ouest : « la situation actuelle de la Russie exige l’adoption en toute hâte de mesures exceptionnelles. Le maintien du général Kornilov à la tête de l’armée m’apparaît éminemment nécessaire, quelles que soient les complications de la politique ». Le général Cherbatchov, commandant du front de Roumanie : « la destitution du général Kornilov exercera sûrement une influence désastreuse sur l’armée et sur la défense de la Russie. Je m’adresse à votre patriotisme au nom du salut du pays ». Tous les commandants en chef mentionnèrent qu’il était urgent d’appliquer les mesures proposées par Kornilov.