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et de la boue de la Cour… Dans notre pays de délations ! Au commencement, je croyais qu’on me tendait un piège … »

Le contact entre la Douma et les officiers existait : depuis longtemps. De jeunes officiers avaient pris une part active, encore que non officielle, aux travaux de la commission de la défense nationale au moment de la reconstruction de la flotte et de la réorganisation de l’armée après la guerre japonaise. A.-J. Goutchkov avait fondé un groupe qui comprenait Savitch, Kroupensky, le comte Bobrinsky et les représentants des officiers avec, à la tête, le général Gourko. Il semble qu’à ce groupement ait également adhéré le général Polivanov, qui joua plus tard un rôle important dans la désorganisation de l’armée (la commission de Polivanov). Ce groupe ne tendait nullement à « renverser les fondements » du régime existant ; il voulait seulement faire démarrer le lourd véhicule bureaucratique, donner un essor au travail et de l’initiative aux administrations militaires inertes. D’après le témoignage de Goutchkov, le groupement fonctionnait ouvertement et même, au début, le Ministre de la Guerre lui communiquait des matériaux. Plus tard, l’attitude de Soukhomlinov changea brusquement, le groupement fut déclaré suspect, on parla de « jeunes Turcs ».

Quoi qu’il en fût, la commission de la défense nationale était très bien informée. Le général Loukomsky, chef du service de la mobilisation, plus tard sous-secrétaire de la guerre, m’a raconté combien sérieusement il fallait préparer les rapports et quelle impression pitoyable faisait dans ses rares apparitions le ministre étourdi et ignorant, Soukhomlinov, harcelé de tous côtés par les membres de la commission…

Au cours de son procès, Soukhomlinov conta lui-même cet incident : s’étant présenté à la commission qui avait à examiner deux questions militaires importantes, il fut arrêté par Rodzianko :

« Partez, partez… Vous êtes pour nous comme le manteau rouge pour le taureau : dès que vous arrivez, les affaires vont mal. »

Après la retraite de Galicie, la Douma d’Empire obtint enfin que ses membres prissent constamment part au contrôle de l’exécution régulière des commandes militaires, tandis que l’Union des Villes et des Zemstvos obtenait l’autorisation d’organiser un « Comité principal d’approvisionnement de l’armée. »

L’expérience sanglante fit naître, enfin, cette idée si simple : la mobilisation de l’industrie russe. Et l’œuvre, arrachée à la stagnation des bureaux militaires, se développa rapidement. D’après les documents officiels, au mois de juillet 1915, l’armée ne recevait que 33 parcs d’artillerie au lieu des 50 qui étaient demandés ; au mois de septembre, des usines privées ayant été appelées à prendre part au travail, il en fut envoyé 78. Abstraction faite des chiffres, je peux affirmer, d’après mon expérience personnelle, que, dès la fin de 1916, notre armée, sans avoir, bien entendu, atteint les normes supérieures qui existaient dans les armées des Alliés, disposait