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point : il reconnaissait au chef suprême le droit de choisir lui-même ses collaborateurs immédiats.

Contrairement aux règles qu’on avait suivies auparavant, le gouvernement avait en même temps que la nomination de Kornilov, et sans en prévenir ce dernier, décrété celle du général Tchérémissov au poste de commandant en chef du front sud-ouest. Kornilov y vit une atteinte à ses droits et envoya un nouvel ultimatum où il déclarait qu’il abandonnerait ses fonctions si le général Tchérémissov n’était pas rappelé — et sans retard. Il refusa de se rendre à Mohilev, avant la solution de cette question. Tchérémissov, de son côté, était extrêmement irrité et menaçait d’entrer « grenades en mains » à l’état-major du front : il exigeait que ses prérogatives de commandant en chef fussent confirmées.

L’affaire s’envenima. Kornilov télégraphia à Pétrograd (1) qu’il estimait nécessaire la mise de Tchérémissov à la retraite : « Pour consolider la discipline dans les troupes, nous avons décidé l’application de mesures très sévères qui frappent les soldats ; les mêmes mesures doivent s’appliquer également aux chefs supérieurs ».

La révolution avait bouleversé tous les rapports en matière de discipline. Comme soldat, je ne puis voir en tous ces événements qu’un attentat contre l’autorité du gouvernement provisoire (s’il en a jamais eu) ; je suis forcé de reconnaître au gouvernement le droit et le devoir de faire respecter son pouvoir par tous les citoyens. Mais, en ma qualité de chroniqueur, j’ajouterai ceci : les chefs militaires n’avaient pas le choix des moyens ; il s’agissait d’arrêter, coûte que coûte, la décomposition de l’armée ; si le gouvernement avait possédé une autorité réelle, s’il avait pu, s’il avait su l’exercer en s’appuyant sur la force au service du droit, il n’aurait encouru ni les ultimatums du Soviet, ni ceux des grands chefs. Bien plus, il aurait évité et le 27 août (qui eût été inutile) et le 25 octobre (qui eût été impossible).

Pour finir, le commissaire Filonenko arriva à l’état-major du front et annonça à Kornilov que le gouvernement avait, en principe, accepté toutes ses propositions. Tchérémissov était mis à la disposition du gouvernement provisoire. On nomma commandant en chef du front sud-ouest, à l’aveuglette et en toute hâte, le général Balouïev et Kornilov entra en charge le 24 juillet.

Le spectre du « général monté sur un cheval blanc » (2) se dessinait, de plus en plus distinct.

Beaucoup de gens, fatigués, désespérés de la folie, de la honte où s’enlisait la Russie, fixaient les yeux sur lui. Il attirait les vertueux et les malhonnêtes, les sincères et les intrigants, les hommes politiques, les soldats et les aventuriers. Et tous lui criaient :