je déposerai mes pleins pouvoirs, de mon propre chef. »
Une série de dépêches politiques rédigées par Kornilov, causa, dans tout le pays, une émotion considérable, emplissant les âmes de crainte, d’animosité ou d’espérance… Kérensky hésitait… mais il avait, pour le rassurer, les commissaires et les comités… Le front sud-ouest se stabilisait et rentrait, peu à peu, dans l’ordre, grâce à la lutte impitoyable de Kornilov contre les bolcheviks de l’armée… Puis, il y avait l’accablant isolement où se trouvait le ministre depuis la conférence du 16 juillet… Il était impossible de maintenir Broussilov au poste de chef suprême ; on ne pouvait compter sur les généraux de la nouvelle école : les expériences qu’on avait tentées en nommant Broussilov et Goutor l’avaient bien démontré… Les injonctions de Savinkov étaient pressantes… Tous ces motifs déterminèrent Kérensky à nommer Kornilov généralissime, bien que le ministre se rendît parfaitement compte qu’il n’éviterait pas les conflits dans l’avenir : il se heurterait fatalement contre cet homme qui était foncièrement réfractaire à sa nouvelle politique militaire. Kérensky prit cette décision, le fait n’est pas douteux, dans un accès de désespoir. Et c’est le désespoir aussi qui lui inspira la nomination de Savinkov au poste d’administrateur du ministère de la guerre.
Les conflits se produisirent avant qu’on ne les eût attendus. Kornilov, dès qu’il eut en mains le décret de sa nomination, envoya au gouvernement provisoire une dépêche où il « communiquait » les conditions qu’on devait accepter, si l’on voulait « qu’il conduisît le peuple à la victoire et obtînt rapidement une paix juste et honorable » :
1) Il n’assumerait de responsabilité qu’envers sa conscience et le peuple russe ;
2) Aucune autorité étrangère n’interviendrait dans ses dispositions militaires et, par conséquent, dans la nomination des officiers supérieurs ;
3) Les mesures adoptées naguère sur le front s’étendraient à tous les points de l’arrière où se trouvaient des réserves ;
4) On accepterait les propositions qu’il avait transmises, par le télégraphe, à la conférence du Grand Quartier Général, le 16 juillet.
Quand je lus cette dépêche dans les journaux, je fus extrêmement surpris par la première de ces prescriptions. En matière de droit gouvernemental, c’était fort original : elle établissait la souveraineté absolue du généralissime jusqu’à la réunion de l’Assemblée Constituante. J’attendis avec impatience la réponse du gouvernement. Elle ne vint pas. Il paraît qu’au conseil des ministres, à l’arrivée de l’ultimatum signé par Kornilov, il s’éleva de vifs débats. Kérensky exigea, afin de consolider l’autorité du pouvoir suprême, la révocation immédiate du nouveau généralissime. Le gouvernement s’y opposa et Kérensky, passant sous silence les autres paragraphes de la dépêche, ne répondit que sur le deuxième