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CHAPITRE XXX

Le général Kornilov.


Deux jours après les délibérations de Mohilev, le général Broussilov dut quitter le poste de généralissime. On avait tenté de mettre à la tête des armées russes un homme qui adhérait aux nouvelles mesures du gouvernement provisoire avec un loyalisme, indiscutable, et qui les approuvait. L’expérience n’avait pas réussi. On abandonnait le chef qui, jadis, en entrant en charge, avait ainsi défini sa mission providentielle[1] : « Je suis chef de l’armée révolutionnaire. J’ai été nommé à ce poste lourd de responsabilités par le peuple révolutionnaire et par le gouvernement provisoire, d’accord avec le Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd. C’est moi qui, le premier, ai passé du côté du peuple : je suis au service du peuple, je le servirai toujours et ne m’en séparerai jamais. »

Dans ses dépositions devant la commission d’enquête, Kérensky a exposé les motifs de la révocation de Broussilov : la situation du front était désespérée ; une avance des Allemands était possible, il fallait, aux armées, une volonté ferme et un plan précis ; Broussilov était incapable de prévoir les éventualités graves et d’y parer ; enfin, il n’avait aucune influence sur les soldats ni sur les officiers.

Quoi qu’il en soit, le départ du général Broussilov n’est pas un simple épisode de la vie administrative : en se séparant du généralissime, le gouvernement avouait, sans détours, la faillite de sa politique militaire.

Le 19 juillet, un décret du gouvernement provisoire portait au poste de chef suprême Lavr Guéorguiévitch Kornilov, général d’infanterie.

J’ai raconté — au chapitre VII — mon entrevue avec Kornilov qui commandait alors les troupes de la région militaire de Pétrograd. Sa nomination à ce poste avait eu pour unique but de ramener dans le devoir et la subordination la garnison de la capitale. Kornilov ne put y réussir. Habitué aux batailles, capable d’entraîner par son courage, par son sang-froid, par son mépris de la mort, de vrais soldats, le général ne pouvait s’entendre avec cette tourbe de fainéants et de mercantis qu’était devenue la garnison de Pétrograd.

  1. 9 juillet — réponse aux félicitations du Soviet de Mohilev.