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L’armée s’est écroulée. Pour la remettre dans la bonne voie, il faut prendre des mesures héroïques :

1° Le gouvernement doit reconnaître ses fautes et revenir de ses erreurs, lui qui n’a ni compris ni apprécié l’élan noble et sincère des officiers. Ceux-ci avaient appris avec joie la nouvelle du coup d’État ; ils ont donné leur vie sans compter pour la Patrie ;

2° Pétrograd, qui ignore l’armée, sa vie, ses mœurs et les bases historiques de son existence, doit cesser de promulguer des lois militaires. Toute l’autorité doit appartenir au généralissime qui ne répond de ses actes qu’au gouvernement provisoire ;

3° La politique doit être bannie de l’armée ;

4° Il faut abolir la « déclaration » dans sa partie essentielle ; supprimer les commissaires, les comités — en modifiant peu à peu les fonctions de ces derniers ([1]) ;

5° L’autorité sera rendue aux chefs. La discipline sera rétablie, de même que les formes extérieures des convenances et de l’ordre ;

6° Les nominations aux postes supérieurs ne dépendront pas seulement de la jeunesse et de l’énergie des candidats, mais aussi de leur expérience du service et de la guerre ;

7° Les chefs auront en réserve des troupes d’élite, attachées à la loi, où les trois armes seront représentées ; elles seront destinés prêtes à étouffer toute révolte militaire, elles réprimeront les violences de la démobilisation ;

8° On instituera des tribunaux militaires révolutionnaires et l’on rétablira la peine de mort à l’arrière pour les militaires et pour les civils qui commettront des crimes identiques.

Vous me demanderez si ces mesures peuvent donner de bons résultats. Je vous répondrai franchement : oui, mais dans un avenir lointain. Il a été facile de détruire — pour reconstruire il faudra du temps ; les mesures que j’ai énumérées constituent une base solide sur laquelle on pourra créer une armée forte et puissante.

Malgré l’écroulement de notre force militaire, nous devons continuer la lutte, quelque pénible qu’elle soit, même en poursuivant la retraite jusqu’à des lignes éloignées. Nos alliés ne pourront plus escompter l’appui de nos offensives. Mais, en nous retirant et en nous défendant, nous attirerons sur nous un nombre considérable de régiments ennemis qui pourraient, s’ils étaient libres, être transférés en France — y écraser les alliés et revenir ensuite nous anéantir.

Ce nouveau calvaire exigera peut-être du peuple russe et de son armée beaucoup de sang, de grandes privations, des sacrifices sans nombre. Mais nous trouverons au bout un lumineux avenir.

Il y a une autre voie à suivre — celle de la trahison. Elle donnerait pour un temps quelque soulagement à notre patrie déchirée.

  1. Cette modification progressive fut exposée pendant le discours du Ministre de la Guerre.