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CHAPITRE III

L’ancienne armée et l’empereur


En août 1915, sous l’influence des cercles de l’impératrice et de Raspoutine, l’empereur décida de prendre le commandement en chef des armées. Huit ministres et certains hommes politiques avaient en vain cherché à le détourner de cette dangereuse décision. Officiellement, on alléguait, d’une part, la difficulté de cumuler le gouvernement du pays et le commandement de l’armée, et, d’autre part, le risque qu’il y avait à assumer la responsabilité des opérations militaires dans une période difficile d’échecs et de retraites. Cependant, le véritable motif de ces démarches était la crainte que le manque d’expérience et de connaissances spéciales du nouveau généralissime ne fît qu’aggraver la situation, déjà si difficile, de l’armée, et que son entourage germano-raspoutinien, qui avait déjà paralysé tous les efforts du gouvernement et amené sa rupture avec la Douma d’Empire et le pays, n’aboutît à la décomposition de l’armée.

Il courait des bruits (plus tard confirmés) selon lesquels la décision de l’empereur aurait été en partie provoquée par la crainte du parti de l’impératrice devant la popularité sans cesse croissante, malgré les échecs de l’armée, du grand-duc Nicolas Nicolaïevitch…

Le 23 août un ordre du jour fut porté à la connaissance des armées de terre et de mer. Au texte officiel l’empereur avait joint en personne les paroles que voici :

« … Avec une foi ferme dans la grâce de Dieu et une certitude inébranlable de la victoire finale, nous accomplirons jusqu’au bout le devoir sacré de la défense de la patrie et ne ferons pas honte à la terre russe. »

Cet acte, important en lui-même, ne produisit pas beaucoup d’impression dans l’armée. Les généraux et les officiers comprenaient fort bien que la part personnelle de l’empereur au commandement ne serait qu’extérieure ; c’est pourquoi on s’intéressait plutôt à la question de savoir qui serait le chef de l’état-major.

La nomination du général Alexéiev calma les officiers. Quant à la masse des soldats, ils ne se préoccupaient pas de la technique du commandement : pour eux, l’empereur a été de tout temps le chef suprême de l’armée, et s’il y avait quelque chose qui provo-