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renforcer le groupe Boehm-Ermolli : notre adversaire était parfaitement renseigné sur les directions de nos opérations.

La direction Kaménetz-Podolsk — Lvov avait été prévue pour l’avance des armées Sud-Ouest, conduites par le général Houtor. Elles marchèrent le long des rives du Dniestr : la 11ème commandée par le général Erdély, sur Zloczow, la 7ème commandée par le général Sélivatchov, sur Bjézany et la 8ème, commandée par le général Kornilov, sur Galicht. Si l’offensive avait réussi, Lvov aurait été occupée, la liaison entre le front de Boehm-Ermolli et celui de l’archiduc Joseph rompue. L’aile gauche de ce dernier, refoulée dans les Carpathes, aurait été dépourvue de voies de communication. Quant aux autres armées du front Sud-Ouest (la première et l’armée Spéciale), elles occupaient un large front, du Pripet à Brody. Leur rôle était la défense active et les diversions contre l’ennemi.

Le 16 juin, sur le front tenu par les corps de choc détachés des 11ème et 7ème armées, un bombardement d’une violence inouïe commença. Après une préparation qui dura deux jours sans interruption et qui détruisit les ouvrages défensifs de l’adversaire, les régiments russes attaquèrent. Entre Zborov et Bjézany, et près de cette dernière ville, le front de l’ennemi fut enfoncé sur une étendue de plusieurs verstes. Nous prîmes deux ou trois lignes fortifiées. Le 19, on renouvela l’assaut, sur un front de soixante verstes, entre le Strypa supérieure et la Naraïouvka. En deux jours de combats pénibles mais glorieux, les Russes avaient pris 300 officiers, 18.000 soldats, 29 canons et un riche butin de guerre, occupé les positions de l’ennemi dans plusieurs secteurs et pénétré dans ses lignes à une profondeur de deux ou trois verstes, après l’avoir chassé dans la direction de Zloczow, au delà de la petite Strypa.

La nouvelle de notre victoire, répandue par le télégraphe dans toute la Russie, souleva des transports d’allégresse : on se reprenait à espérer la résurrection de la puissance militaire russe. Kérensky déclara, dans son communiqué au Gouvernement Provisoire : « Nous fêtons aujourd’hui le triomphe de la révolution. Le 18 juin, l’armée révolutionnaire russe, avec un enthousiasme admirable, a pris l’offensive et a démontré à la Russie et au monde son attachement inviolable à la révolution, son amour de la liberté et de la patrie… les soldats russes instaurent une discipline nouvelle basée sur le sentiment du devoir civique… Cette journée met un terme aux appréciations haineuses, aux viles calomnies, touchant la reconstruction de l’armée russe sur des fondements démocratiques… » L’homme qui a parlé ainsi eut plus tard la hardiesse d’affirmer, pour sa justification, qu’il n’était pas responsable de la destruction de l’armée : on la lui aurait transmise — héritage fatal ! — préalablement désorganisée…

Après trois jours de calme sur le front de la 11ème armée, les combats reprirent avec rage, des deux côtés de la voie ferrée entre