Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/297

Cette page n’a pas encore été corrigée

aucune tentative de rompre les positions défensives de l’ennemi. Bien des fois, avec ceux qui devaient le réaliser plus tard, j’ai examiné le plan général. J’ai étudié avec eux la préparation d’artillerie, Ies points de départ de l’offensive. Ce qui me paraissait le plus difficile, c’était l’organisation de l’assaut. Les hommes étaient à tel point démoralisés qu’il était impossible d’obtenir d’eux un changement de position, l’installation des abris de rassemblement, l’exécution des travaux d’approche, le déplacement des batteries ([1]). Ou bien on ne faisait rien, ou bien on ne se mettait à l’œuvre qu’après des efforts inouïs, des sollicitations instantes… et des meetings. On saisissait le moindre prétexte pour refuser de travailler à la préparation de l’offensive. Pour mettre au point la défense de leurs positions à peine fortifiées, les chefs durent accomplir un travail prodigieux et qui sortait de l’ordinaire : il ne s’agissait pas de diriger les troupes suivant des combinaisons tactiques, il fallait adapter les manœuvres aux qualités des divers commandants, à la désorganisation plus ou moins grande des régiments, au hasard des secteurs où les positions étaient plus ou moins puissamment agencées.

Et pourtant, quand on croit trouver en notre infériorité technique une explication des défaites que nous avons essuyées en 1917, on doit traiter cette question avec circonspection : incontestablement, notre armée était moins parfaite que d’autres ; mais, en 1917, elle était incomparablement mieux approvisionnée, plus riche en artillerie et en munitions, plus instruite aussi par ses propres expériences et par celles d’autrui — qu’en 1916 par exemple. Notre infériorité technique a été une particularité toute relative, mais continue, qui s’est manifestée à toutes les périodes de la guerre mondiale, jusqu’au début de la révolution. En 1917 elle s’était considérablement atténuée et il n’est pas juste de la mettre dans la balance quand on veut juger l’armée révolutionnaire et ses opérations.

Donc, on accomplissait un travail de Sisyphe. Les officiers s’y étaient mis de tout cœur. L’éventualité du succès était un dernier rayon d’espérance pour ceux qui voulaient sauver l’armée et le pays. On pourrait surmonter toutes les difficultés matérielles. Mais il fallait relever le moral du soldat.

Broussilov vint haranguer les régiments. Un des résultats de sa tournée fut la révocation, malgré mon avis, du commandant de la 10ème armée, une semaine et demie avant l’offensive. J’eus bien de la peine à faire agréer mon candidat, le glorieux général Lomnovsky, commandant du 8ème corps. Le nouveau chef n’atteignit Molodetchno que quelques jours avant le début des opérations. L’arrivée de Broussilov

  1. C’est l’infanterie qui résistait. L’artillerie a conservé, jusqu’aux derniers jours, sa volonté de combattre, presque intacte.