le nom d’un travailleur infatigable, qui s’est entièrement voué au service de notre chère armée.
« Aux sombres jours d’autrefois, et aujourd’hui aussi, en pleine débâcle, vous êtes resté le citoyen courageux qui se dresse franchement, loyalement contre l’arbitraire, qui se révolte contre le mensonge, la flatterie et les lâches complaisances, qui lutte, à l’arrière, contre l’anarchie, sur le front, contre la désorganisation…»
Mon attitude, comme celle du général Alexéiev, ne s’accordait pas avec les conceptions politiques du gouvernement provisoire et, d’autre part, je ne pouvais songer à collaborer avec le général Broussilov, nos idées étaient trop dissemblables. Broussilov, lorsqu’il était encore sur le front Sud-Ouest, avait consenti, je le suppose, à agréer le général Loukomsky, présenté par Kérensky, au poste de chef d’état-major. Voilà pourquoi je fus fort surpris par la conversation que j’eus avec le généralissime, le jour de son arrivée :
« Eh quoi ! Antoine Ivanovitch ; j’espérais retrouver en vous un camarade. J’espérais que nous travaillerions ensemble au Grand Quartier. Et vous me faites une tête !…
— Pardon ! Mettons les choses au point ! Il m’est impossible de rester ici plus longtemps ; du reste, tout le monde sait que Loukomsky a déjà été désigné pour me remplacer.
— Comment ? Auraient-ils osé le nommer sans me prévenir ? »
Jamais plus, ni lui, ni moi, nous ne revînmes sur la question. En attendant mon remplaçant, je continuai à travailler avec Broussilov pendant dix jours. Cette collaboration, je l’avoue, me fut pénible, au point de vue moral. J’avais servi auprès de lui, depuis le premier jour de la guerre. Un mois, j’avais été Général-quartier-maître à l’état-major de la 8ème armée, qu’il commandait, puis, pendant deux ans, j’étais resté à la tête de la quatrième division (anciennement brigade) de tirailleurs, toujours dans sa glorieuse armée. Puis j’avais eu le huitième corps, sur le même front. « La division de fer » marchait alors de victoire en victoire. Broussilov se plaisait à reconnaître hautement ses mérites et la traitait avec une affection touchante. Et cette affection allait aussi au chef de la division… J’avais vécu avec Broussilov des jours terribles, mais aussi des périodes radieuses de succès militaires — souvenirs inoubliables ! Et maintenant il m’était pénible de causer avec lui, avec ce nouveau Broussilov qui avait, si inconsidérément, gâché, à son détriment (ce qui est sans importance) et au détriment de l’armée, la séduction que son nom exerçait jadis. À l’heure du rapport, chaque fois que la défense des principes indiscutables du règlement militaire pouvait passer pour un « manque d’esprit démocratique », la question était tranchée par un non : inutile de discuter, de démontrer. Parfois Broussilov interrompait le rapport et me disait, non sans émotion :
« Antoine Ivanovitch ! Pensez-vous que je ne sois pas écœuré