CHAPITRE XXVI
L’administration au mois de mai et au commencement de juin. La démission de Goutchkov et du général Alexéev. Ma démission du Grand Quartier Général. L’administration de Kérensky et du général Broussilov.
Goutchkov, ministre de la guerre, démissionna le 1er mai. Il a dit dans quel esprit il avait tenté de réaliser la « démocratisation » de l’armée : « Nous voulions endiguer et organiser cet élan d’initiative, d’indépendance et de liberté qui entraînait tout le monde. Mais il y a une limite qu’on ne peut franchir : si nous l’avions dépassée, c’était l’écroulement de ce vivant, de ce puissant organisme qu’est l’armée. » Incontestablement la limite avait été franchie bien avant le 1er mai.
Je n’ai pas l’intention d’étudier la personnalité de Goutchkov, dont je ne mets pas en doute l’ardent patriotisme. Je ne veux parler que de ses méthodes. Administrer l’armée au début de la révolution — voilà une charge qui voulait de robustes épaules. En tout cas, le ministère Goutchkov n’était nullement qualifié pour diriger de fait la vie de l’armée. Ce ministère ne fut point, pour l’armée, un guide ; obéissant au « pouvoir parallèle », il cédait aux impulsions d’en bas, et, tout en essayant une faible résistance, il se laissait mener par l’armée, qu’il aurait dû conduire. Il atteignait rapidement cette limite au delà de laquelle c’est l’écroulement définitif.
« Sauver l’armée de la ruine qui la menaçait sous l’influence des socialistes et surtout sous la pression exercée par le Soviet des députés ouvriers et soldats, forteresse du socialisme ; gagner du temps ; laisser l’abcès se résorber ; fortifier de toutes manières les éléments sains — voilà quel fut mon programme, » lit-on dans une lettre de Goutchkov à Kornilov, datée de juin 1917. Et il avait raison, indubitablement. Mais sut-il endiguer efficacement le flot des forces destructives ? Voilà toute la question. L’armée, en tout cas, n’eut pas le sentiment d’être protégée. Les officiers lisaient les ordres du jour de Goutchkov qui sapaient à la base les principes du service et les mœurs militaires. Il est possible que ces ordres du jour fussent la conséquence d’un terrible drame, d’une lutte pénible… et d’une défaite politique. Les officiers n’en savaient rien et n’en voulaient rien savoir. Leur ignorance en ces matières était si complète qu’aujourd’hui même, au bout de quatre ans,