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cet admirable, cet héroïque mouvement libérateur, ne peut s’accomplir qu’à une condition : l’armée russe doit conserver toute sa force, il ne faut en compromettre l’unité par aucun changement organique. En détacher des troupes suivant le principe ethnique, ce serait, à cette minute particulièrement grave, mettre son corps en pièces, anéantir sa puissance ; ce serait conduire à leur ruine aussi bien la révolution que la liberté de la Russie, de la Pologne et des autres nationalités qui peuplent notre patrie. »

Quant aux chefs militaires, ils jugeaient ce problème de la nationalisation de deux façons différentes. Le plus grand nombre condamnait formellement toute innovation de ce genre. Quelques-uns, cependant, espéraient que les nouveaux régiments, marchant sous leurs drapeaux nationaux, commenceraient par rompre toute attache avec le Soviet des députés ouvriers et soldats, et sauraient, dans la suite, éviter les erreurs et les folies de la démocratisation. Ils formeraient un noyau politiquement sain et contribueraient à consolider le front et à reconstituer l’armée. Le général Alexéiev, ennemi déclaré de toutes ces tentatives, n’encouragea jamais que les nouvelles organisations militaires des Polonais et des Tchéco-Slovaques. Le général Broussilov prit l’initiative d’autoriser la formation du premier régiment ukrainien. Il demanda ensuite au généralissime de ne pas annuler cette décision, afin de ne pas ébranler son autorité ([1]) ». On conserva le régiment. Le général Roussky autorisa, lui aussi, l’organisation de troupes estoniennes ([2]). Et il y en eut d’autres. Les mêmes raisons qui avaient amené certains chefs à soutenir ces régiments d’un nouveau genre, furent jugées à un tout autre point de vue par la démocratie révolutionnaire russe : par la voix des Soviets et des comités militaires, elle fut unanime à condamner la nationalisation de l’armée. Ce fut, un peu partout, un déluge de motions intransigeantes et de résolutions autoritaires. En particulier, le Soviet des députés ouvriers et soldats de Kiev, au milieu du mois d’avril, réprouva, avec une énergie indignée, la création de troupes ukrainiennes : les soldats incorporés dans ces troupes n’étaient que des déserteurs et des embusqués. À une majorité de 264 voix contre 4, le Soviet exigea la suppression des régiments ukrainiens. La gauche socialiste polonaise — le fait est curieux — s’érigea, elle aussi, en adversaire de la nationalisation : elle se retira du congrès militaire polonais, en juin, sitôt après qu’on eût voté la création de troupes nationales.

Le gouvernement abandonna bientôt l’attitude ferme qu’il avait tout d’abord adoptée contre la nationalisation. L’acte du 2 juillet qui accorde à l’Ukraine son autonomie, donne en même

  1. Le général Alexéiev ordonna la refonte immédiate de ces troupes. Kérensky permit qu’elles fussent maintenues.
  2. Qui furent disloquées.