CHAPITRE XXV
Les unités nationales.
L’ancienne armée russe a presque toujours ignoré le problème des nationalités. Pour les soldats représentant les éléments hétérogènes de la population, le service était bien un peu plus dur que pour les autres, parce qu’ils ignoraient ou connaissaient mal la langue russe parlée par les instructeurs. Il y eut fréquemment, à cause de ces difficultés de l’instruction militaire, des frottements désagréables, déterminés peut-être par la grossièreté et par l’ignorance, mais jamais par l’intolérance nationaliste. Cela rendait pénible la situation des soldats d’autres races ; et cela d’autant plus que le mode de recrutement qui amalgamait tous les éléments hétérogènes, détachait le plus souvent les jeunes hommes de leur pays natal. Le recrutement territorial était jugé peu praticable par les spécialistes ; les hommes politiques l’estimaient dangereux. La question petite-russienne n’existait simplement pas. En dehors des heures d’instruction, les Petits-Russiens parlaient leur langue, chantaient leurs mélodies, interprétaient leur musique, sans que personne y trouvât rien d’étranger : c’était russe, c’était national, c’était un des visages de la patrie. À l’armée, toutes les races, excepté les Israélites, s’assimilaient assez rapidement — sans qu’on y cultivât le chauvinisme nationaliste, sans qu’on y pratiquât la russification forcée.
Chez les officiers, les particularités ethniques s’effaçaient plus complètement encore. On y jugeait les hommes sur leurs compétences professionnelles, sur leurs aptitudes militaires, sur leurs qualités personnelles — leur nationalité passait à l’arrière-plan, on ne s’en souciait même pas. Personnellement, pendant mes vingt-cinq ans de service avant la révolution, je n’ai jamais, dans mes rapports avec mes inférieurs, avec mes chefs, avec mes camarades, attaché la moindre importance à cette question. Et c’était purement instinctif — il n’y avait là ni théories, ni convictions. Les problèmes nationaux, soulevés en dehors de l’armée par les hommes politiques pouvaient passionner les officiers ; on y trouvait maintes solutions, parfois radicales, intransigeantes — cependant on ne les appliquait jamais à l’armée.
La condition des soldats israélites était quelque peu différente. J’y reviendrai. Dans l’ancienne armée, la question juive, on peut l’affirmer, n’était pas affaire de politique : elle intéressait plutôt