Pourichkevitch poursuivit longuement le projet de transférer dans le Don la Douma d’Empire qui y aurait fait contrepoids au gouvernement provisoire. Au cas où celui-ci eût été renversé, la source légale du pouvoir se serait retrouvée intacte. Mais Kalédine, n’entra jamais dans ces vues.
Ce qui prouve clairement l’idée qu’on se faisait des Cosaques dans les groupes les plus divers, c’est l’attraction que le Don ne cessa d’exercer : en hiver 1917 on y vit arriver Rodzianko, Milioukov, le général Alexéiev, les prisonniers de Bykhov, Savinkov et même Kérensky qui, vers le 20 novembre 1917, sollicita, à Novotcherkassk, une entrevue avec le général Kalédine. Celui-ci refusa de le recevoir. Quant à Pourichkevitch, s’il ne vint pas, c’est que les bolcheviks l’avaient arrêté à Pétrograd.
Et soudain l’on comprit qu’on s’était lourdement trompé : les Cosaques, à l’époque, n’étaient plus capables d’agir !
Quand les désordres ensanglantaient leurs territoires, les atamans avaient, à plusieurs reprises, demandé l’autorisation de retirer du front une partie au moins de leurs divisions. On attendait ces troupes avec une extrême impatience, on fondait sur elles des espérances illimitées. En octobre, on pensa toucher au but : les divisions cosaques se dirigeaient vers leur pays. Elles eurent à surmonter cent obstacles : à chaque station le Vikgèle ([1]) où les Soviets locaux refusaient de leur laisser continuer leur voyage ; on les insultait, on les désarmait — et pourtant, après avoir mis en jeu, selon l’occurrence, la prière, la ruse ou la menace, elles rallièrent enfin leur territoire.
Mais il était tout à fait impossible de soustraire les troupes cosaques au fléau qui s’était abattu sur l’armée. Elles avaient subi les mêmes influences, extérieures et psychologiques, qui les avaient désorganisées tout pareillement — moins radicalement peut-être. À deux reprises, on essaya de les faire marcher sur Pétrograd sous Krymov ([2]), puis sous Krassnov ([3]). L’entreprise échoua ; et cela contribua à embrouiller davantage encore les idées très confuses qu’elles concevaient, au sujet de la situation politique.
Le retour des troupes cosaques dans leur pays y causa une amère désillusion. Ceux du Don, du Kouban et du Térek ([4]) tout au moins, rapportèrent du front le bolchevisme intégral, dégagé, cela s’entend, de toute théorie, mais accompagné de tous les phénomènes de désorganisation que nous connaissons déjà. Cette désorganisation se produisit par degrés, elle ne fut complète que plus tard,