Térek suppliaient le Don de leur envoyer au moins quelques sotnias : « les camarades, disaient-ils, leur rendaient l’existence insupportable. »
Les relations d’amitié qui s’étaient établies, aux premiers jours de la révolution, entre les démocraties panrusse et cosaque, furent bientôt définitivement rompues. Le « socialisme cosaque » n’avait rien de commun avec la pure doctrine des idéologues : il ne sortait pas de son cadre corporatif, il s’isolait dans ses intérêts de classe. Mais la cause de cette rupture ne fut pas seulement la question de l’autonomie locale, ce fut surtout le problème agraire : tandis que les Soviets voulaient partager les terres selon un système égalitaire, sans avantager les Cosaques, ceux-ci défendaient à outrance leurs droits de propriété et de gestion sur toutes les terres cosaques, alléguant l’histoire et les services qu’ils avaient rendus jadis en conquérant, en protégeant, en colonisant les anciennes marches de la Russie.
On n’arriva pas à établir une administration territoriale unique : les luttes intestines commencèrent.
Une atmosphère de haine entre les Cosaques et les paysans immigrés pesait sur le pays. Au cours de la guerre civile, dont la violence croissait d’heure en heure, on vit se perpétrer des crimes monstrueux : quand le pouvoir passait de mains en mains, les vaincus étaient décimés. Dans les grands territoires cosaques, l’une ou l’autre moitié de la population était résolument mise à l’écart, dans l’organisation et l’administration du pays ([1]). À côté de ce phénomène il s’en produisit un autre : le mouvement séparatiste, la sécession des Cosaques.
Ceux-ci avaient toutes sortes de raisons pour croire que la démocratie révolutionnaire était portée à léser leurs intérêts et, surtout, dans la question agraire, qui les touchait au vif. D’autre part, l’opinion du Gouvernement provisoire à ce sujet était des plus équivoques — il se trouvait, d’ailleurs, de toute évidence, à la veille de sa chute. L’avenir était indécis. C’est pourquoi, tout en suivant la tendance générale et légitime à la décentralisation, les Cosaques, toujours, au cours des siècles, épris de Liberté, mirent tout leur zèle à se donner l’indépendance la plus large possible : l’Assemblée Constituante ne pourrait plus que s’incliner devant le fait accompli ; leurs hommes politiques déclaraient tout franchement : « On aura, au moins, de quoi rabattre. » Peu à peu le désir de s’administrer librement évolua, s’élargit : on passa de l’autonomie à la fédération, à la confédération. À tout cela s’ajoutèrent les vanités, les amours-propres locaux, les intérêts particuliers : on en vint à rejeter de parti pris tout ce qui aurait pu fortifier le gouvernement central. On s’affaiblissait les uns les autres et la
- ↑ Dans les territoires principaux (Don et Kouban), les Cosaques formaient la moitié de la population environ.