Mais, en même temps, toutes mesures étaient prises pour enrayer le développement excessif de ces « franchises ». Il ne fallait pas qu’elles missent obstacle à cette implacable centralisation qui fut, pour l’état russe à ses débuts, une nécessité inéluctable, mais qui devint la grande erreur de son évolution postérieure. Dans cet esprit de centralisation, le pouvoir limita l’autonomie des Cosaques, et l’on vit, récemment, se créer une tradition : des gens complètement étrangers aux troupes cosaques et à leurs mœurs furent nommés atamans. Les troupes cosaques — les plus anciennes, les plus nombreuses — furent commandées plus d’une fois par des généraux d’origine allemande.
Le Gouvernement impérial pouvait, semble-t-il, se lier sans restriction aux troupes cosaques qui avaient, à plusieurs reprises, eu l’occasion de justifier leur réputation, soit en réprimant çà et là des séditions politiques, des soulèvements locaux d’ouvriers ou de paysans, soit en éteignant un plus grand incendie, la révolution de 1905-1906, où elles jouèrent un rôle important. D’ailleurs, toutes ces « répressions » — où la violence et la cruauté ont toujours part — firent aux masses populaires une impression profonde. On répandit partout, en exagérant, les exploits des Cosaques, et ceux-ci devinrent un objet de haine dans les usines, chez les paysans, parmi les intellectuels libéraux — mais surtout, dans tous les milieux que l’on désigne par le terme général de « démocratie révolutionnaire ». Dans tous les écrits illégaux — libelles, proclamations, feuilles illustrées — « Cosaque » signifie « laquais de la réaction ».
Cette définition manque complètement de mesure. Voici en quels termes Mitrophane Bogaevsky, panégyriste des Cosaques du Don, esquisse le portrait politique de ses frères : « Ce qui a sauvé les Cosaques de l’anarchie — pour le moins aux premiers jours des troubles — c’est leur conception de l’État, de l’ordre légal. Ils ont toujours cru à la nécessité de vivre dans l’obéissance aux lois. Cette soif d’ordre, de légalité s’est manifestée et continue de se manifester dans toutes les assemblées des troupes cosaques ». Voilà certes de nobles aspirations, dénuées d’égoïsme. Mais cela ne tranche pas la question.
Malgré la charge écrasante de leurs obligations militaires, (ils étaient tous soldats), les Cosaques jouissaient, surtout dans le Sud, d’une certaine aisance. Rien ne les excitait à s’insurger contre le pouvoir, contre le régime à l’instar des ouvriers et des paysans de la Russie centrale. Une répartition extrêmement compliquée des terres mettait les intérêts économiques des Cosaques autochtones (qu’elle avantageait, du reste), en opposition avec ceux des colons « étrangers » ([1]). Ainsi dans le territoire du Don, pays des
- ↑ On appelait ainsi, dans les territoires cosaques, l’élément immigré, non autochtone.