J’avoue qu’avec beaucoup d’autres je n’exécutai pas ce décret et préparai, comme il convenait, le moral du régiment Arkhangelogorodsky que je commandais. Et même je publiai dans la presse militaire un article dirigé contre le décret en question et dont le sujet était : « N’éteignez pas l’âme vivante ! »
Car je ne doute point que la statue de Strasbourg de la place de la Concorde, entourée de ses voiles de deuil, n’ait joué un rôle immense dans l’éducation de l’héroïque armée française.
La propagande pénétrait déjà de toutes parts dans l’ancienne armée. Il est certain que les efforts convulsifs des gouvernements de Goremykine, de Sturmer et de Trepov, se succédant rapidement et cherchant à arrêter le cours normal de la vie russe, — ces efforts, en eux-mêmes, suffisaient à alimenter la propagande, excitant de plus en plus la colère populaire qui s’infiltrait également dans l’armée ; la littérature socialiste et défaitiste en profitait ; la doctrine de Lénine pénétra, en Russie, par l’intermédiaire de la fraction social-démocrate de la Douma d’Empire. Les Allemands déployaient une activité plus grande encore. J’en parlerai plus amplement dans le chapitre XXI.
Je dois, cependant, observer que toute cette propagande extérieure agissant principalement sur les unités de l’arrière (garnisons et bataillons de réserve des grandes agglomérations, surtout de Pétrograd), n’exerçait, avant la révolution, que relativement peu d’influence sur les troupes du front. Et les renforts, dont l’esprit avait été troublé, changeaient souvent pour le mieux après être arrivés au front, dans l’atmosphère de la vie de combat, difficile mais plus saine.
Toutefois, la propagande destructrice trouvait par endroits un terrain favorable, et il y eut dès avant la révolution un ou deux cas où des unités entières refusèrent d’obéir et furent sévèrement réprimées.
Enfin, il y avait une raison d’ordre pratique qui faisait que la masse principale de l’armée — les paysans — n’était pas d’instinct trop portés à désirer la révolution sociale :
— On partagera la terre sans nous… Non, il faut attendre que nous soyons rentrés, c’est alors qu’on la partagera !…
Une espèce de propagande par l’exemple était faite par la désorganisation de l’arrière et la folle orgie d’abus, de cherté de vie, de bénéfices et de luxe érigés sur le sang et les os du front. Mais l’armée était surtout péniblement atteinte par le manque de moyens techniques et surtout de munitions.
Ce n’est qu’en 1917 que le procès de Soukhomlinov révéla à la société et à l’armée russes les causes principales du désastre militaire de 1915. Dès 1907, on avait élaboré un projet d’augmen-