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« La patrie est en danger ». Nous nous y sommes habitués. C’est comme si nous lisions de vieilles chroniques des temps anciens et ne puissions saisir tout le sens de ces mots brefs. Cependant, messieurs, c’est, malheureusement, une vérité fatale. La Russie marche à sa perte. Elle est au bord de l’abîme. Encore quelques chocs et de tout son poids elle y sombrera. L’ennemi occupe la huitième partie de son territoire. On ne le séduira pas avec ces paroles utopiques : « la paix sans annexions, ni contributions ». Il dit ouvertement qu’il ne restituera pas nos terres. Il tend sa patte avide là où jamais encore un soldat ennemi n’a pénétré, — vers la plantureuse Volhynie, vers la Podolie, vers la région de Kiev, c’est-à-dire il veut s’emparer de toute la rive droite de notre Dniepr.

Pourquoi sommes-nous là ? L’armée russe laissera-t-elle faire ?

Ne jetterons-nous pas hors de notre pays cet insolent ennemi, après quoi nous laisserons les diplomates conclure la paix avec ou sans annexions ?

Soyons francs : l’esprit guerrier de l’armée russe est abattu ; hier encore forte, menaçante, elle reste aujourd’hui fatalement impuissante devant l’ennemi. L’ancienne tradition de fidélité à la Patrie a laissé place au désir seul de paix et de repos. Au lieu d’activité, d’énergie, dans l’armée se sont éveillés les instincts les plus bas et une soif inextinguible de conservation.

À l’intérieur, où donc est cette forte puissance, à laquelle aspire tout le pays ? Où donc est ce pouvoir qui saurait imposer à chaque citoyen son devoir envers la patrie ?

On nous dit que ce pouvoir va venir, mais rien ne l’annonce. Où est l’amour de la patrie ?

Sur nos bannières on a tracé le grand mot de « fraternité », mais on n’a su l’inscrire ni dans les cœurs, ni dans les esprits. La haine de classes est déchaînée parmi nous. Des catégories entières d’hommes qui ont loyalement rempli leur devoir envers la Patrie sont mis en suspicion ; sur ce terrain un gouffre s’est creusé entre les deux parties de l’armée russe — les officiers et les soldats.

Et c’est en ce moment que s’est réuni le premier congrès des officiers de l’armée russe. Il me semble qu’on ne pouvait le choisir plus opportun pour rétablir sans plus tarder l’union dans notre grande famille et pour que tous les officiers unis par des liens d’amitié, tentent d’insuffler dans nos cœurs une noble impulsion, un puissant élan, — car sans élan il n’y a pas de victoire, et, sans victoire, pas de salut et plus de Russie…

Animez donc votre activité, par l’amour de la Patrie et par une sympathie cordiale envers le soldat ; songez aux moyens de relever son niveau moral et intellectuel afin qu’il devienne votre sincère ami. Faites cesser cette discorde qu’on a semée artificiellement dans nos rangs.