Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On tuait les officiers, on les brûlait vifs, on les écartelait ; lentement avec une cruauté indicible, on leur fendait la tête avec des marteaux.

Puis ce furent des millions de déserteurs. La soldatesque, innombrable, envahissait, comme une avalanche, les chemins de fer, les voies fluviales, les grand routes, brisant, piétinant, détruisant les voies de communication qui restaient encore à la pauvre Russie.

Enfin, ce fut Tarnopol, Kalouche, Kazan… Ce fut un cyclone de pillages, de tueries, de violences, d’incendies, qui parcourut la Galicie, la Volhynie, la Podolie et d’autres gouvernements encore, laissant partout des traces sanglantes et éveillant chez les habitants démoralisés, affolés par tant d’horreurs, ce désir monstrueux :

« Si seulement les Allemands arrivaient au plus vite ».

Voilà ce qu’avait fait le soldat.

Ce soldat, auquel un grand écrivain russe, à l’âme sensible et au cœur vaillant, disait[1] :

« … Combien d’hommes as-tu tués, en ces jours, soldat ? Combien as-tu fait d’orphelins ? Combien as-tu laissé de veuves inconsolables ? Entends-tu ce que murmurent leurs lèvres, dont tu as à jamais chassé le sourire joyeux ?

« Assassin ! Assassin !

« Mais qu’est-ce que les mères, les orphelins ? L’heure est venue, qu’on n’aurait pu prévoir, l’heure effroyable où tu as trahi la Russie, où tu as jeté la Patrie sous les pieds de l’ennemi !

« Toi, soldat, que nous avons tant aimé… que nous aimons encore.»

  1. Léonide Andréev. Article intitulé « À toi, soldat ! »