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lorsque nous pouvons, au moyen de submersibles, faire couler de pacifiques bateaux transportant des femmes et des enfants, empoisonner les gens par des gaz asphyxiants, lacérer les corps humains par les éclats des balles explosives ; maintenant que tout un pays, toute une nation ne sont cotés dans l’esprit froidement calculateur des politiciens qu’à titre de « barrière » contre l’irruption d’une force armée et d’idées délétères et qui tantôt soutient, tantôt trahit…

Mais la plus horrible de toutes les armes dues à l’ingéniosité de l’intelligence humaine, le plus infâme des moyens admis et toléré durant la dernière guerre, c’est

la corruption de l’âme humaine.

L’Allemagne tient à céder la priorité de cette invention à l’Angleterre. Laissons-les résoudre cette controverse à l’amiable. Mais je vois mon pays écrasé, agonisant dans les ténèbres de l’horreur et de la démence. Et je connais ses bourreaux.

Devant l’humanité deux principes se sont érigés dans toute leur force menaçante, dans toute leur ignoble nudité :

Tout est permis pour le bien de la patrie !

Tout est permis pour le triomphe d’un parti, d’une classe sociale !

Même la perte morale et physique d’un pays ennemi, même la trahison de sa propre Patrie, même les expériences sociales sur son corps vivant, dont l’insuccès peut la réduire à la paralysie ou à la mort.

L’Allemagne et Lénine décidèrent ces deux questions par l’affirmative. L’univers les en a blâmés. Mais étaient-ils réellement unanimes et sincères ceux qui blâmaient cette conduite ? Ces idées ne laissèrent-elles pas des traces profondes dans la conscience non pas tant des masses populaires, comme dans celle de leurs chefs ? Du moins, c’est à cette conclusion que m’amènent la politique universelle moderne, si impitoyable, tout particulièrement envers la Russie, et la tactique étroite et égoïste des organisations sociales.

C’est terrifiant.

Je pense que chaque peuple est dans son droit de défendre son existence, les armes à la main ; je sais que longtemps encore la guerre sera le moyen habituel de résoudre les questions internationales en litige, et que les procédés de combat seront tantôt honnêtes, tantôt, malheureusement, déloyaux. Mais il existe des limites, au delà desquelles l’infamie cesse d’être de l’infamie pour devenir de la démence. Nous avons atteint cette limite. Et si la religion, la science, les littératures, les philosophes, les humanistes, en un mot les maîtres de l’humanité ne s’élèvent pas contre la morale hottentote qui nous a été inculquée, l’univers assistera au crépuscule de sa civilisation.