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révolution un certain nombre de journaux de la droite furent interdits sous l’influence et la pression des soviets, les autres firent preuve de tendances plutôt libérales. Mais, dès la fin de septembre 1917, lorsque l’impuissance du gouvernement est définitivement avérée, que tout espoir de sortir légalement de l’impasse créée est perdu, et à la suite de l’action de Kornilov, leur ton se hausse considérablement. Les attaques de la presse extrémiste contre le gouvernement dégénèrent en violentes invectives.

Différant plus ou moins dans leurs conceptions des problèmes sociaux posés par la révolution, portant peut-être, avec toute la Société russe, le poids de multiples erreurs, la presse libérale a été, cependant, manifestement unanime dans toutes les questions importantes d’ordre politique, législatif et national : pouvoir absolu au gouvernement provisoire ; réformes démocratiques dans le sens du programme du 2 mars ([1]), continuation de la guerre, en union avec les alliés, jusqu’à la victoire ; Assemblée Constituante panrusse — source du pouvoir et de la constitution du pays. D’autre part encore, la presse libérale russe laissera d’elle un souvenir honorable dans l’histoire de son pays : aux grands jours d’essor moral comme à ceux de doute, d’hésitation, de démoralisation générale qui signalèrent la période révolutionnaire de 1917, elle ne fut jamais un placement pour l’or allemand, pas plus, d’ailleurs, que la presse de droite.

L’apparition de la nouvelle littérature socialiste fut accompagnée de conjonctures défavorables. Elle manquait d’un passé de travail régulier, elle manquait de traditions. Sa longue existence clandestine, ses méthodes d’activité exclusivement destructive, son attitude soupçonneuse et hostile à tout pouvoir, marquèrent de leur empreinte les tendances de la presse socialiste, n’y laissant que peu de place à l’œuvre créatrice et féconde. Tout s’y retrouvait : l’incohérence de la pensée, les contradictions et les fluctuations manifestes tout aussi bien au sein du Soviet que dans les groupements de partis et dans les partis eux-mêmes, ainsi que la pression instinctive et impétueuse des exigences étroitement égoïstes des classes sociales inférieures, car toute inattention à l’égard de ces exigences provoquait une attitude menaçante, que les matelots de Kronstadt, « gloire et orgueil de la révolution », résumèrent un jour en ces mots adressés au ministre Tchernov : « si vous ne faites rien pour nous, ce sera… Michel Alexandrovitch ([2]) qui s’en chargera ! » Et puis, la presse socialiste eut à souffrir de l’influence de bon nombre de personnages nouveaux qui y créèrent une atmosphère de déshonneur et de trahison. Ces journaux grouillent de noms issus de la chronique criminelle, du département de

  1. Voir chapitre IV. Les articles 7 et 8 ne purent provoquer dans l’opinion publique qu’un accueil défavorable.
  2. Le grand-duc Michel Alexandrovitch.