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de son idéologie politique, se maintenait aussi longtemps, jusqu’à ce qu’enfin, en novembre 1918, « un double choc mortel, sur le front et à l’arrière », l’eût finalement terrassé. L’histoire, sans aucun doute, ne manquera pas de signaler l’analogie du rôle joué par la « démocratie révolutionnaire » de la Russie et de l’Allemagne dans la destinée de ces deux nations. Le leader des social-démocrates indépendants allemands, après la défaite, avait fait connaître à l’Allemagne le travail considérable et systématique qu’ils avaient mené, dès le commencement de 1918, afin de ruiner l’armée et la flotte, pour la gloire de la révolution sociale. Dans ce travail, on est frappé par la ressemblance des procédés et des méthodes avec ceux qui furent pratiqués en Russie.

N’étant pas de force à lutter contre la propagande anglaise et française, l’Allemagne, par contre, usait de cette arme avec le plus grand succès par rapport à son adversaire de l’Est, d’autant plus que la Russie, « préparant elle-même sa déchéance, l’œuvre de propagande n’y était guère difficile », comme le disait Ludendorff.

Les résultats de la collaboration de cette propagande allemande, habilement menée avec les différentes tendances, issues moins de la révolution même que de la nature très spéciale des insurrections en Russie, dépassèrent les prévisions les plus audacieuses de l’Allemagne.

Cette œuvre de propagande germanique se poursuivait dans les trois domaines : politique, militaire et social. Pour ce qui est de la politique, il est important de spécifier ici l’idée du démembrement de la Russie, nettement formulée et réalisée avec un esprit de suite évident par le gouvernement allemand. Cette idée fut clairement exprimée, lors de la proclamation, le 5 novembre 1916, du rétablissement du royaume de Pologne ([1]) avec un territoire s’étendant à l’Est aussi loin que possible ; elle eut aussi son expression dans la création des états de Courlande et de Lituanie, états « indépendants », mais en étroite union avec l’Allemagne ; elle l’eut encore dans le partage des provinces de la Russie Blanche entre la Lituanie et la Pologne, et, enfin, dans les préliminaires à la séparation de l’Ukraine, préparée de longue date et très opiniâtrement et qui fut réalisée plus tard, en 1918. Si les premiers actes de dissociation n’ont qu’une valeur de principe, concernant des territoires occupés, de fait, par les Allemands, et prédéterminant ainsi les caractères des futurs pays annexés, par contre, l’attitude des puissances du Centre à l’égard de l’Ukraine exerça une influence directe sur l’équilibre de notre front, si important, du sud-ouest, créant, d’une part, des complications politiques dans toute la contrée et, de l’autre, provoquant des tendances séparatistes

  1. Le rétablissement de la Pologne dans ses limites ethnographiques avait également été promis par la Russie.