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nous employons tous les moyens de persuasion. Mais il nous faut l’appui de votre autorité.

N’oubliez pas que, si l’ennemi nous attaque, nous nous écroulerons comme un château de cartes.

Si vous voulez à toute force « révolutionner » l’armée, prenez donc tout le pouvoir en main.

LE PRINCE LVOV. — Nous avons tous le même but. Chacun fera son devoir jusqu’au bout. Permettez-moi de vous remercier d’être venus ici et de nous avoir exposé votre façon de voir.

* * *


La séance fut levée. Les commandants en chef retournèrent au front. Ils se rendaient nettement compte que la partie était perdue. En même temps et immédiatement après la conférence, les orateurs et la presse du Soviet commencèrent une campagne énergique contre les généraux Alexéiev, Gourko et Dragomirov, campagne qui entraîna bientôt leur révocation.

Après avoir préalablement décrété qu’il n’autoriserait pas les chefs à démissionner « pour échapper à leur responsabilité », Kérensky, le 9 mai (j’ai déjà mentionné le fait), sanctionna la « déclaration ».

Quelle fut l’impression produite par cette néfaste mesure ?

Dans la suite, Kérensky affirma, pour sa justification, que la loi avait été rédigée avant son arrivée au ministère de la guerre et « approuvée aussi bien par le Comité exécutif que par les autorités militaires ». Il n’avait aucune raison pour refuser sa signature, il était obligé de ratifier. Mais je me rappelle plusieurs discours de Kérensky, où il se flattait de marcher dans la bonne voie et se déclarait fier de la hardiesse qu’il avait manifestée en promulguant une loi que « Goutchkov avait eu peur de signer » — et, cette loi avait pourtant soulevé les protestations de tous les chefs militaires.

Le 13 mai, le Comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats lança au sujet de la déclaration une proclamation enthousiaste : il n’y était question que du salut militaire. « Deux mois nous avons attendu cette journée… Le soldat est devenu citoyen, de par la loi… Il est libéré de cet esclavage : le salut obligatoire… il peut saluer qui il veut, en égal, en homme libre… Dans l’armée révolutionnaire, la discipline aura sa source dans l’enthousiasme populaire… elle ne sera plus conditionnée par le salut obligatoire. »

Telle était la mentalité des gens qui entreprenaient de réorganiser l’armée !

D’ailleurs la plus grande partie de la démocratie révolutionnaire ne s’estima pas satisfaite : on vit dans cette déclaration « un nouvel asservissement du soldat ». Par la parole et par la plume on continua de réclamer l’extension des droits du soldat. Le