il va sans dire — qu’une connaissance très approximative des milieux militaires.
Quant à leurs opinions politiques, ils appartenaient tous aux partis socialistes, allant des social-démocrates « menchevistes » jusqu’au groupe « Unité ». Ils portaient les couleurs de leur parti et, souvent, ils se refusèrent à suivre la ligne tracée par le Gouvernement, liés qu’ils étaient — à leur avis — par la discipline du Soviet et de leur parti. Suivant leur programme politique, les commissaires n’avaient pas tous le même point de vue au sujet de la guerre. Staukiévitch, un des commissaires qui remplirent leurs fonctions avec le plus de loyauté — à sa façon, bien entendu — alla rejoindre un jour une division qui marchait à l’ennemi. Il se déclare torturé par le doute : « Et quoi ! nos soldats sont convaincus que nous ne voulons pas les tromper. Ils repoussent toute hésitation et s’en vont mourir et tuer. Avons-nous bien le droit de les y pousser ? Bien plus ! avons-nous le droit de prendre une décision à leur place ? » Au sujet du bolchevisme les commissaires n’eurent pas tous — affirme Savinkov ([1]) — la même manière de voir, ils ne furent pas tous partisans de la lutte nécessaire, décisive contre les bolcheviks. Savinkov était une exception. Sans être militaire de profession, il s’était formé dans les aventures, dans les combats, dans les dangers. Ses mains s’étaient plongées dans le sang des meurtres politiques. Cet homme connaissait les lois de la guerre : il sut rejeter le joug de son parti et combattre la désorganisation de l’armée avec plus de ténacité que les autres. Mais sa conception des événements avait une teinte par trop personnelle.
Quant à leurs qualités personnelles, les commissaires — si l’on en excepte quelques-uns du type Savinkov —manquaient de force et d’énergie. C’étaient des orateurs, ce n’étaient pas des hommes d’action. Leur ignorance professionnelle n’aurait peut-être pas eu de conséquences néfastes, mais une circonstance aggrava la situation : comme leurs fonctions étaient mal définies, ils se mirent peu à peu à s’immiscer dans tous les domaines de la vie militaire et du service. Tantôt c’était sur leur propre initiative, tantôt les soldats ou les Comités les y incitaient — quelquefois même, ils en étaient priés par des chefs timorés qui craignaient les responsabilités. Les commissaires étudiaient avec attention toute espèce de questions : les nominations, les destitutions d’officiers et même les problèmes stratégiques. Et ils ne s’appliquaient pas seulement à « démasquer la contre-révolution », ils examinaient aussi l’utilité des mesures adoptées par le haut commandement. Et la confusion des pouvoirs était telle que, pour peu qu’un chef manquât de ressort moral, il ne savait plus à quoi s’en tenir. Voici un fait que je me rappelle. Pendant la retraite de juillet, sur le front Sud-Ouest,
- ↑ Savinkov fut commissaire de la 7ème armée, puis au groupe d’armes du front sud-ouest. Il dirigea ensuite le ministère de la guerre.