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Tant que dura l’accalmie sur le front, les élucubrations et les résolutions des organisations supérieures laissèrent les troupes à peu près indifférentes. Mais, lorsque vint le moment de se préparer à l’offensive, la voix de l’instinct prit le dessus chez bien des hommes et la formule toute prête des idées défaitistes tomba à pic. Tandis que certains comités continuaient à voter des résolutions patriotiques, d’autres organisations, qui exprimaient soit l’état d’esprit des unités soit leur propre opinion, se prononçaient carrément contre l’idée de l’offensive. Des régiments, des divisions et jusqu’aux corps entiers de l’armée du front, — surtout sur les fronts du Nord et de l’Ouest, — refusèrent d’effectuer les travaux préliminaires et d’avancer en première ligne. À la veille de l’offensive, il fallut envoyer d’importantes expéditions militaires pour réprimer par la force des armes les unités qui trahissaient lâchement leur devoir.

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J’ai déjà parlé, dans le chapitre XVI, de l’attitude de certains chefs opportunistes à l’égard des comités. Cette attitude se résume de la façon la plus nette dans cet appel que le commandant d’une des armées par intérim, le général Fedotov, adressait au comité de son armée :

« Notre armée a obtenu à présent une organisation comme il n’en existe encore nulle part… Un rôle important y appartient aux organisations électives. Nous, ses chefs d’autrefois, nous ne pouvons actuellement donner à l’armée autre chose que nos connaissances militaires, stratégiques et tactiques. Quant à organiser l’armée, à créer sa force intérieure, c’est vous, les comités, qui êtes appelés à réaliser cette tâche. Le rôle des comités, votre rôle dans la création d’une nouvelle et puissante armée est très grand. L’histoire future en prendra note ! »

Avant même que les organisations militaires fussent légitimées, le commandant en chef du front du Caucase ordonna que les décisions du Soviet arbitraire de Tiflis seraient publiées dans les ordres du jour de l’armée et que toutes les dispositions relatives à l’organisation et la vie quotidienne de l’armée seraient présentées au Soviet.

Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une attitude pareille de la part d’un certain nombre de chefs ait favorisé et justifié les prétentions sans cesse croissantes des comités.

Pour ma part, sur les fronts de l’Ouest et du Sud-Ouest, je tranchai la question d’une façon très nette : je refusai d’entrer avec les comités en quelques relations que ce soit et je coupai court, autant que c’était possible, à toutes les manifestations de leur activité, contraires aux intérêts de l’armée.

En fin de compte, le peu de cas qu’on faisait de son autorité, ôtait au commandement toute responsabilité. Or, un chef sans