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fût aux soulèvements anarchiques, la Russie fut cependant atterrée par l’horreur apparue sur les champs de bataille en Galicie, près de Kalouche et Tarnopol. La « conscience révolutionnaire » fut cinglée, comme d’un coup de cravache, par les télégrammes des commissaires du Gouvernement aux armées, Savinkov et Filonenko, et du général Kornilov, tous les trois demandant le rétablissement immédiat de la peine de mort. « Une armée d’hommes obscurs et affolés — écrivait Kornilov le 11 juillet — que le pouvoir ne défend pas contre la corruption et la démoralisation systématique, fuit, ayant perdu tout sentiment de dignité humaine. Sur les champs que l’on ne peut même pas nommer champs de bataille règne une horreur sans trêve, une honte, une infamie telle que l’armée russe n’en a jamais connu de toute son existence… Les mesures de clémence, appliquées par le Gouvernement, ont ébranlé la discipline ; elles provoquent la cruauté désordonnée des masses que rien n’entrave. Cet instinct déchaîné se traduit par des violences, des pillages et des meurtres… La peine de mort sauvera bien des vies innocentes en supprimant quelques traîtres et lâches. »

Le 12 juillet le Gouvernement rétablit la peine de mort et introduisit les tribunaux « militaires – révolutionnaires » à la place des anciens conseils de guerre. La différence consistait en ce que les nouveaux tribunaux étaient électifs (3 officiers et 3 soldats), les candidats étant choisis soit sur la liste des membres du jury, soit parmi les membres des comités de l’armée. D’ailleurs, cette mesure (le rétablissement de la peine de mort) que le Gouvernement avait consentie sous l’influence du commandement, des commissaires et des comités, était d’avance vouée à l’insuccès : plus tard, à la « Conférence Démocratique », Kérensky chercha à se justifier aux yeux de la démocratie : « Attendez que je signe au moins un seul arrêt de mort, et alors je vous accorderai le droit de me maudire… » D’autre part, la composition des tribunaux et les conditions de leur fonctionnement, que j’ai indiquées plus haut, ne pouvaient contribuer à la réalisation de la mesure en question : il ne se trouvait presque pas de juges capables de prononcer un arrêt de mort, ni de commissaires qui consentissent à le confirmer. Du moins, il n’y en eut pas sur mes fronts. En même temps, au bout de deux mois de fonctionnement des conseils de guerre révolutionnaires, l’administration judiciaire avait rassemblé une documentation abondante, provenant tant des chefs militaires que des commissaires, et établissant les « infractions flagrantes aux règles de la juridiction, l’inexpérience et l’ignorance des juges ([1]) ».

Parmi les mesures pénales appliquées par le commandement suprême ou par les chefs, il faut mentionner la dissolution des régiments rebelles. Cette mesure trop hâtive a eu des conséquences imprévues : on provoquait la rébellion précisément pour faire

  1. Commissariat du front du Sud-Ouest.