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J’ai peine à comprendre la mentalité de ces hommes qui se laissèrent aussi vite et aussi entièrement influencer et dominer par la foule. Il ressort de la liste des membres de cette commission, du premier mai, que la plupart d’entre eux étaient des représentants des états-majors et des bureaux de Pétrograd (25 en regard de 9 représentants seulement des armées), et de plus, ils n’appartenaient pas tous à l’armée active. Pétrograd avait sa mentalité à part, qui différait de celle de l’armée.

Les lois démocratiques les plus importantes et qui eurent les conséquences les plus graves pour l’armée portaient sur l’organisation des comités (voir chapitre XVIII), sur les peines disciplinaires, sur la réforme de la justice militaire et, enfin, sur la fameuse déclaration des droits du soldat.

La juridiction disciplinaire des chefs est abolie. Elle est conférée à des tribunaux « disciplinaires » institués auprès des compagnies et des régiments. Ces tribunaux sont également chargés de résoudre les malentendus survenus entre les soldats et les chefs.

Cette mesure se passe de commentaires. Elle introduisait une anarchie absolue dans la vie intérieure des unités et discréditait de par la loi l’autorité du chef. Cette dernière circonstance était d’une importance capitale. Et la démocratie révolutionnaire usa de ce procédé dans les moindres actes de sa législation.

La réforme des tribunaux avait pour objet final d’atténuer, au cours de la procédure, l’influence des juges militaires nommés ; d’introduire le jury et, d’une façon générale, d’adoucir les sanctions judiciaires.

On a aboli les conseils de guerre qui châtiaient rapidement et sur le lieu du délit un certain nombre de crimes d’ordre militaire, évidents et particulièrement graves, tels que trahison, désertion devant l’ennemi, etc.

La « démocratisation » de la justice militaire n’était justifiée en quelque sorte que par le fait qu’après avoir ébranlé la confiance dans les officiers en général, il était indispensable de créer des organes judiciaires mixtes et électifs, c’est-à-dire théoriquement plus dignes de la confiance de la démocratie révolutionnaire.

Mais ce but, lui-même, ne fut pas atteint. Car le tribunal militaire — une des bases principales de l’ordre dans l’armée, — tomba absolument au pouvoir de la foule. Les organes de la sûreté furent saccagés par la démocratie révolutionnaire. L’instruction des procès se heurtait à l’opposition insurmontable des gens armés et parfois même des organisations révolutionnaires de l’armée. La foule armée, comprenant souvent beaucoup d’éléments criminels, pesait sur la conscience des juges de toute sa force obscure et effrénée, imposant d’avance le verdict. Les tribunaux militaires mis à sac, les membres du jury ayant osé prononcé un verdict qui déplaisait à la foule, obligés de prendre la fuite et quelquefois lynchés, tout cela était devenu chose ordinaire. À Kiev eut lieu le procès d’un bolchevik