Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/165

Cette page n’a pas encore été corrigée

de se soumettre à la priorité du comité de l’armée, reçoit immédiatement après, par l’initiative du Grand Quartier, une nomination supérieure, le commandement d’une armée sur le front du Sud-Ouest.

Le général Kornilov, qui avait refusé son poste de commandant en chef des troupes de la zone militaire de Pétrograd, « ayant trouvé impossible d’assister en témoin impassible et de participer à la destruction de l’armée… par le Soviet », est nommé par la suite commandant en chef des armées d’un front et plus tard Généralissime. De même, Kérensky m’éloigne du poste de chef de l’état-major du Généralissime, comme ne répondant pas aux desseins du gouvernement et désapprouvant ses mesures d’une façon manifeste, et m’admet aussitôt après au poste élevé de Commandant en Chef du front de l’Ouest.

Des phénomènes inverses eurent lieu également : le Généralissime, général Alexéiev, fit de longues et vaines tentatives pour destituer l’amiral Maximov, chef électif qui se trouvait à la tête de la flotte de la Baltique et dépendait entièrement du comité exécutif rebelle de cette flotte. Il fallait arracher de force à son ambiance ce chef qui avait causé infiniment de mal, car le comité ne le laissait pas partir et Maximov opposait un refus à tous les ordres de se présenter au Grand Quartier, alléguant la situation critique…

Ce ne fut qu’au commencement de juin que Broussilov réussit à en débarrasser la flotte… en le nommant chef du grand état-major des forces navales près le Généralissime !…

On pourrait encore citer beaucoup d’exemples des contradictions frappantes dans les idées dont s’inspirait la direction de l’armée, contradictions provoquées par le conflit entre deux forces opposées, entre deux conceptions, deux idéologies.

* * *


J’ai déjà dit plus haut que tous les officiers généraux étaient parfaitement loyaux à l’égard du Gouvernement Provisoire. Le futur « rebelle » lui-même, le général Kornilov, disait un jour à une réunion d’officiers : « Le passé s’est effondré ! Le peuple construit le nouvel édifice de la liberté, et la tâche de l’armée nationale est de soutenir par tous les moyens le nouveau Gouvernement dans son œuvre difficile et créatrice… » Si le commandement militaire s’intéressait aux questions de politique générale et aux expériences socialistes des Gouvernements de coalition, il ne le faisait pas plus que tous les Russes cultivés, ne croyant ni de son devoir ni de son droit de faire participer l’armée à la solution des problèmes sociaux. Pourvu que fussent conservées l’armée et telle orientation de la politique extérieure qui contribue le mieux à la victoire. Une telle union entre le commandement et le gouvernement — union « d’inclination » au début et « de raison » par la suite — dura jusqu’à