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climatiques particulières à notre théâtre de la guerre, notre offensive n’avait pas été prévue avant le mois de mai. Cependant, conformément au plan général de la campagne, élaboré le 2 novembre 1916 à la conférence de Chantilly, le général Joffre avait décidé que l’offensive des troupes anglo-françaises commencerait à la fin de janvier ou aux premiers jours de février ; le général Nivelle qui succéda à Joffre, après la conférence du 14 février 1917 à Calais, ajourna le commencement de l’offensive jusqu’à la fin de mars.

Le manque de coordination entre les opérations du front oriental et du front occidental portait des fruits amers. Il est difficile de dire si les Alliés pouvaient retarder leur offensive de deux mois et dans quelle mesure l’avantage d’une opération combinée avec le front russe se trouvait anéanti par le sursis accordé à l’Allemagne pour renforcer et organiser son matériel et compléter ses réserves. Une chose est certaine, c’est que l’absence de cette coordination améliora grandement la situation des Allemands.

« Je fais raisonnements gratuits, dit Ludendorff, mais je ne peux m’empêcher de songer que si la Russie avait attaqué en avril et en mai, remportant une série de petits succès, nous aurions eu à supporter, de même qu’en automne 1916, une lutte très pénible. Nos réserves de munitions auraient diminué dans des proportions inquiétantes. Toute réflexion faite, si l’on plaçait en avril et mai les succès que les Russes remportèrent en juin, je ne vois pas comment le commandement suprême serait resté maître de la situation. En avril et mai 1917, malgré notre victoire ( ?) sur l’Aisne et en Champagne, nous n’avons été sauvés que par la révolution russe… »


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Outre l’offensive générale sur le front austro-allemand, il se posa, en avril, une autre question non démunie d’intérêt : celle d’une opération indépendante en vue de s’emparer de Constantinople. Le Ministre des Affaires Étrangères, Milioukov, inspiré par de jeunes marins enthousiastes, avait à maintes reprises engagé des pourparlers avec le général Alexéiev, cherchant à le convaincre d’entamer cette opération qui, affirmait-il, pouvait aboutir au succès et placer la démocratie révolutionnaire, hostile aux annexions, devant le fait accompli.

Le Quartier Général désapprouva absolument cette entreprise bizarre qui tenait si peu de compte de l’état de nos troupes : la descente, opération très délicate en elle-même, réclamait une grande discipline, de la préparation, de l’ordre et surtout un haut sentiment du devoir chez les contingents participant à l’action et qui fussent demeurés quelque temps complètement isolés de leur armée. Avoir derrière soi la mer, c’est là une circonstance qui déprime même les unités au moral le plus élevé.