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CHAPITRE XV

La question de l’offensive de l’armée russe.


Ainsi se posait devant nous, dans toute son importance et dans toute son acuité, cette question :

L’armée russe doit-elle passer à l’offensive ?

Le 27 mars, le Gouvernement Provisoire publiait un manifeste « aux citoyens » sur les buts de la guerre. Parmi le fouillis de phrases qui, pour complaire à la démocratie révolutionnaire, obscurcissaient le sens direct du manifeste, le Grand Quartier ne pouvait trouver des principes nettement déterminés dont il eût pu s’inspirer pour diriger l’armée : « Défendre coûte que coûte notre patrimoine national et débarrasser le pays de l’ennemi qui a envahi notre sol, telle est la tâche essentielle et vitale de nos soldats, défenseurs de la liberté du peuple… Le but de la Russie libre n’est pas de dominer les autres peuples, ni de les dépouiller de leur patrimoine national, ni de s’emparer par la force des territoires d’autrui ; son but est d’instaurer une paix stable basée sur la libre auto-disposition des peuples. Le peuple russe ne cherche pas à renforcer sa puissance extérieure au détriment d’autres peuples… mais… il ne souffrira pas que sa Patrie sorte de la grande lutte humiliée et frappée aux sources mêmes de son existence. Tels seront les principes que le Gouvernement Provisoire mettra à la base de sa politique extérieure… tout en tenant pleinement les engagements contractés vis-à-vis de nos alliés ».

Dans la note du 18 avril, envoyée par le Ministre des Affaires Étrangères, Milioukov, aux puissances alliées, nous trouvons cette autre définition : « La volonté de la nation de mener jusqu’à la victoire décisive la guerre mondiale… se trouve renforcée du fait que tous et chacun ont désormais la conscience de leur responsabilité. Cette volonté est devenue plus agissante, car elle est concentrée sur la tâche urgente et chère à chacun qui consiste à repousser l’ennemi envahissant le sol même de notre Patrie[1]. »

Certes, tout ceci n’était que des phrases déterminant les buts de la guerre d’une façon hésitante, circonspecte et abstruse, permettant de les interpréter selon les préférences et, surtout, privées

  1. De telles définitions permettaient à la propagande défaitiste d’expliquer des opérations telles que, par exemple, l’offensive de Lemberg, par des « tendances impérialistes et annexionnistes ».