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Un des actes du Gouvernement qui compliqua singulièrement le cours normal de la vie nationale, fut le décret du 17 avril abolissant la police générale. Au fond, cet acte ne faisait que consacrer une situation qui s’était établie un peu partout dès les premiers jours de la révolution et qui résultait de la haine populaire contre les organes exécutifs de l’ancien pouvoir, cette haine étant surtout professée par ceux qui, après avoir le plus souffert de l’oppression et de l’arbitraire de la police, se voyaient subitement portés à la tête du mouvement populaire. Ce serait peine perdue que de défendre l’ancienne police russe. Sa mauvaise réputation n’a été quelque peu atténuée que par comparaison avec la milice et les tchékas ([1])… De même, il aurait été inutile, à l’époque dont je parle, de s’opposer à son abolition ; celle-ci s’imposait par des motifs d’ordre psychologique. Cependant, il est certain que l’ancienne police s’inspirait dans ses actes moins de ses convictions politiques que des exigences de ceux qui la faisaient vivre ainsi que de ses propres intérêts. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les gendarmes et les policiers, persécutés, insultés, traqués et enrôlés de force dans l’armée y soient devenus un élément de démoralisation. Pour justifier ses propres torts, la démocratie révolutionnaire exagérait à outrance le rôle « contre-révolutionnaire » de ces éléments ; cependant, il est parfaitement juste que beaucoup d’anciens agents de la police et de la gendarmerie ont choisi, peut-être par esprit de conservation, le métier qui offrait alors les plus grands avantages : celui d’agitateurs et de démagogues.

Examinons les faits.

En pleins troubles populaires, lorsque le nombre des crimes s’était sensiblement accru et que les garanties assurant la sécurité personnelle et publique des citoyens n’existaient pour ainsi dire pas, l’abolition de la police fut une véritable calamité. La milice qu’on lui substitua n’était même pas un succédané, mais plutôt une caricature de la police. Tandis que dans les États occidentaux on applique le principe de l’unification de la police soumise à un organe central, le Gouvernement Provisoire subordonna la milice aux administrations municipales et provinciales. Les commissaires du Gouvernement n’avaient que le droit de s’en servir pour l’accomplissement de missions légales.

D’après le témoignage autorisé du chef de la Direction Centrale de la milice, il arrivait souvent qu’on enrôlait dans ses rangs et même parmi ses chefs d’anciens criminels de droit commun récemment évadés du bagne…

Quant aux administrations cantonales, il leur arrivait de ne pas organiser de milice du tout, laissant à la campagne le soin de s’administrer comme bon lui semblait.

  1. « Commissions extraordinaires », sûreté générale bolcheviste (Note du traducteur).