de la constitution agraire et, harcelé cependant, par la poussée spontanée des masses, le Gouvernement Provisoire transféra ses droits en partie au Ministère de l’Agriculture et en partie au Comité Agraire Central constitué sur les bases de la représentation la plus démocratique ; ce dernier, chargé de réunir les données et de préparer la réforme agraire, devait, en outre, régler les rapports agraires existants. En fait, l’administration des terres — leur utilisation, expropriation, les relations de fermage, les conditions d’embauchage de la main-d’œuvre — passa aux comités agraires cantonaux, organes composés souvent d’éléments ignorants (les intellectuels étant pour la plupart éliminés), trop intéressés et n’ayant aucune idée de la nature ni des limites de leur compétence. Pendant que le Gouvernement Provisoire déclarait inadmissible tout acte arbitraire et insistait sur la nécessité de garder intact les fonds de terrains disponibles jusqu’à la convocation de l’Assemblée Constituante, les organes représentatifs centraux et le ministère de Tchernov favorisaient franchement la « jouissance provisoire des terres », nom donné par euphémisme aux mainmises arbitraires, expliquant ces actes par la nécessité, « dans l’intérêt de l’État », d’utiliser toutes les terres en vue de l’ensemencement. La propagande la plus active exercée à la campagne par des représentants irresponsables des milieux socialistes et anarchistes complétait l’œuvre de Tchernov.
Les résultats de cette politique ne tardèrent pas à se manifester. Le suppléant du Ministre de l’Intérieur, Tsérételli, constatait dans une des circulaires adressées aux commissaires départementaux ([1]), l’existence, à la campagne, d’une anarchie absolue : « Mainmises, labour des champs appartenant à autrui, débauchage d’ouvriers ; exigences économiques dépassant les forces des cultivateurs auxquels elles sont présentées ; le bétail de race est détruit ; le matériel saccagé ; des exploitations de haute culture se perdent ; les forêts sont coupées ; les matériaux forestiers et les stocks de bois destinés à l’exportation sont saisis et pillés. En même temps, les cultivateurs privés laissent leurs champs en friche ; les moissons et les fenaisons ne sont pas faites. » Le Ministre accusait les comités locaux et les congrès des paysans d’organiser des mainmises arbitraires et concluait que les conditions dans lesquelles était poursuivie l’exploitation agricole et forestière, « menaçaient de maux innombrables l’armée, le pays et l’existence même de l’État ».
Si l’on ajoute à ce tableau les incendies, les meurtres, les lynchages, le sac des manoirs contenant quelquefois des trésors d’une valeur historique incalculable, on aura une idée complète de la vie de la campagne à l’époque dont je parle.
Ainsi, la question de la grande propriété foncière avait absolument dépassé le cadre des intérêts égoïstes et bornés. Et cela d’autant plus
- ↑ Circulaire du 17 juillet.