Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/119

Cette page n’a pas encore été corrigée

être de toutes celles que connaît le droit municipal. L’expérience pratique de leur application manque. J’indiquerai seulement un phénomène de la réalité russe déformée, phénomène qui accompagna la mise en exécution des statuts en question, en automne 1917. La liberté des élections ne fut dans bien des endroits qu’une dérision sanglante. Comme règle presque générale en Russie, tous les groupements non socialistes, y compris ceux qui étaient politiquement neutres, furent déclarés suspects et persécutés. Ils ne pouvaient pas faire de propagande, leurs réunions étaient sabotées ; des abus flagrants avaient lieu au cours de la procédure électorale ; quelquefois même, des violences directes étaient exercées contre les représentants de ces groupements : ils étaient malmenés et leurs listes électorales détruites. Cependant, la masse des soldats des nombreuses garnisons, foule turbulente et dûment « travaillée » par la propagande, hôtes fortuits de la ville, qui ne s’y trouvaient parfois que depuis la veille, se précipitait aux urnes, qu’elle remplissait de listes des candidats des partis extrémistes, hostiles à l’idée même de l’État. Il arriva que des unités militaires, arrivées après le vote, réclamèrent des réélections, appuyant leur prétention de menaces, sinon de meurtres. Certes, la présence, à Pétrograd, d’une immense garnison en décomposition ne fut pas sans influencer les élections à la Douma (Conseil municipal) de la capitale où les bolcheviks obtinrent 67 places sur 200.

Le pouvoir se taisait : pour qu’il eût la parole, il lui eût fallu l’existence.

La petite bourgeoisie, les travailleurs intellectuels, bref, la démocratie urbaine, dans le sens le plus large de ce mot, apparaissait dans cette lutte révolutionnaire comme le parti le plus faible, nécessairement vaincu. Tous les faits précurseurs du sanglant régime bolcheviste — émeutes, séditions, séparation des « républiques », — avaient les répercussions les plus pénibles sur la vie de cette démocratie. L’ « autodétermination » des soldats inspirait la terreur, la force brutale et destructive primait tout, rendait extrêmement difficile et même tout à fait impossible la circulation dans le pays, car tous les chemins de fer étaient accaparés par les déserteurs. L’ « autodétermination » des ouvriers, en faisant monter les prix d’une façon inconsidérée, empêchait de satisfaire aux besoins en objets de première nécessité. L’ « autodétermination » de la campagne arrêtait l’arrivage des vivres et condamnait la population urbaine à la famine. Je ne parle pas des souffrances morales d’une classe exposée aux outrages et aux humiliations. La révolution permit à tous d’espérer que les conditions de leur vie seraient améliorées, hormis à la démocratie bourgeoise. Car il n’y a pas jusqu’aux conquêtes morales — liberté de la parole, de la presse, des réunions, etc. qui ne fussent bientôt devenues le privilège exclusif de la démocratie révolutionnaire. Et si la bourgeoisie supérieure (supérieure, bien entendu, au point de vue