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khangelogorod que j’ai commandé jusqu’à la dernière guerre. Ne pas leur accorder ces promotions aurait été d’une injustice flagrante, qui eût pesé lourd sur la conscience et l’autorité du commandant et qu’il n’était pas permis d’expliquer. Ce n’est qu’à grand’peine que je réussis à faire valoir les droits de ces deux officiers, qui, plus tard, tombèrent tous deux au champ d’honneur.

Ce système policier créait dans l’armée une atmosphère malsaine.

Non content de cela, Soukhomlinov organisa, en outre, tout un réseau d’espionnage (dit « service de contre-espionnage » ) à la tête duquel se trouvait, non officiellement, le colonel Miassoïédov, exécuté plus tard pour espionnage au profit de l’Allemagne. Chaque état-major régional comportait un organe dirigé par un officier de gendarmerie, revêtu de l’uniforme de l’état-major. Officiellement, ces organes étaient appelés à lutter contre l’espionnage étranger. Feu Doukhonine, alors qu’il était encore, avant la guerre, chef du service de l’information auprès de l’état-major de Kiev, se plaignait à moi de l’atmosphère irrespirable créée par le nouvel organisme, qui, officiellement, était subordonné au général, chef du quartier général, mais, en fait, suspectait et surveillait non seulement l’état-major, mais jusqu’à ses chefs.

Cependant, la vie semblait pousser les officiers à protester, sous quelque forme que ce fût, contre le « régime existant ». Depuis bien longtemps, il n’y avait, parmi les fonctionnaires de l’État, d’éléments aussi peu fortunés jouissant d’aussi peu de sécurité et de droits, que les officiers russes subalternes. Une existence littéralement indigente ; les droits et l’amour-propre foulés aux pieds par les supérieurs. Le plus bel avenir que la carrière pouvait ouvrir à la plupart d’entre eux était le grade de commandant et une vieillesse presque dans la misère. À partir de la moitié du xixe siècle, le corps des officiers russes a complètement perdu son caractère de caste. Dès l’introduction du service obligatoire universel et l’appauvrissement de la noblesse, les écoles militaires ouvrirent largement leurs portes au « tiers-état » et aux jeunes gens issus du peuple et ayant fait leurs études dans des écoles civiles. Ceux-là étaient en majorité dans l’armée. La mobilisation à son tour, introduisit dans les rangs des officiers un grand nombre d’éléments fournis par les professions libérales et qui apportaient avec eux des conceptions nouvelles. Enfin, les pertes immenses subies par les officiers de carrière obligèrent le commandement à réduire quelque peu les exigences relatives à l’éducation et à l’instruction militaires, facilitant la promotion des soldats, — de ceux qui s’étaient distingués dans le combat et de ceux auxquels on faisait faire des études sommaires à l’école des aspirants.

Ces deux dernières circonstances, propres à toute armée populaire, eurent deux conséquences fatales : elles abaissèrent,