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les bolcheviks pour le Gouvernement ou les partis dirigeants du Soviet ».

C’est cela qui rendait tragique la situation du Gouvernement Kérensky et du Soviet. La foule ne suivait pas les mots d’ordre abstraits. Elle se montra également indifférente qu’il s’agît de la Patrie, de la révolution ou de l’Internationale ; aucune de ces valeurs ne lui inspirait l’envie de verser son sang ni de sacrifier sa vie. La foule suivait les promesses réelles de ceux qui flattaient ses instincts.

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En examinant l’idée du « pouvoir » à travers toute la période de la révolution russe qui précéda le coup d’État d’octobre, nous ne parlons, au fond, que des formes extérieures de ce pouvoir. Car dans les conditions exceptionnelles de la guerre mondiale, d’une envergure sans précédent dans l’histoire, lorsque les 12 % de la population mâle étaient sous les drapeaux, tout le pouvoir se trouvait entre les mains de l’armée.

De l’armée, à laquelle on avait fait perdre la tête ; de l’armée, contaminée par de fausses doctrines, ayant perdu la conscience du devoir et la crainte de la coercition. De l’armée, surtout, qui n’avait plus de « chef… » Ni le gouvernement, ni Kérensky, ni le commandement, ni le Soviet, ni les Comités des armées, ne pouvaient — pour les raisons les plus hétéroclites et qui s’excluaient réciproquement — prétendre à ce rôle. Les rapports et les conflits entre ces divers éléments trouvaient un écho anormal dans l’esprit des soldats et augmentaient la démoralisation de ces derniers. Il. est inutile de faire des suppositions que l’on ne peut justifier par des réalités, surtout lorsque la perspective historique fait défaut. Cependant, la question est si brûlante, si angoissante, qu’on s’y arrête sans cesse malgré soi : pouvait-on élever une digue qui fût capable de maîtriser l’élan spontané des masses et de maintenir l’armée dans l’obéissance ? Je pense que c’était possible. Au commencement, cela pouvait être fait tant par le commandement supérieur que par un gouvernement assez décidé pour mater les Soviets, assez puissant et sage pour les faire rentrer dans la voie étatiste et les faire collaborer à la reconstruction démocratique.

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Au début de la révolution, le Gouvernement Provisoire jouissait, sans aucun doute, des sympathies de tous les éléments sains de la population. Tout le commandement supérieur, tous les officiers, un grand nombre de troupes, la bourgeoisie et les éléments démocratiques, ayant échappé à l’influence du socialisme militant, étaient pour le gouvernement. Les journaux de l’époque sont