Page:Demogeot - Tableau de la littérature française au XVIIe siècle, 1859.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée
360
TABLEAU DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE.

mêmes qualités lui firent un succès analogue. On salua avec bonheur, dans les plaidoyers de Lemaître, l’image à peine vivante de l’éloquence antique. Tout Paris courait l’entendre ; les prédicateurs évitaient de monter en chaire les jours où il devait plaider : la France crut encore une fois avoir son Cicéron.

Il faut le dire : sous les couches épaisses du sédiment professionnel, il y avait un feu caché qui quelquefois les déchirait et jaillissait à la surface. Lemaître avait une belle âme et un grand cœur : nous en dirons bientôt quelque chose ; mais, dans la plupart de ses plaidoyers, on le soupçonne plutôt qu’on ne l’éprouve. On entend le praticien, le littérateur, il faut deviner le futur solitaire de Port-Royal 1.

Voici un passage qui nous donnera la clef de sa composition. Tout le monde connaît le fameux développement où Cicéron, plaidant pour Annius Milo, proclama la loi de la légitime défense, cette loi antérieure à toutes les lois : Est igitur, judices, non scripta, sed nata lex… Écoutons Antoine Lemaître.

« C’est une loi, messieurs, qui n’a pas été écrite par les hommes, mais qui est née avec tous les hommes ; qui n’est pas peinte au dehors, mais qui est empreinte au dedans de nous, que nous avons plutôt reconnue que lue, plutôt comprise qu’apprise, plutôt conçue en nous-mêmes que reçue des autres, et, enfin, que nous ne tenons pas de la main des législateurs, mais que nous avons retenue de celle de la plus ancienne et de la plus auguste législatrice, qui est la nature ; que nous avons puisée dans son sein, tirée de son instinct général, et comme arrachée du premier et du plus invincible de ses mouvements ; que,

1. Ses plaidoyers ont été retouchés pendant sa retraite. Il faut se défier des additions pieuses, et recourir aux éditions précédentes, faites sans l’aveu de l’auteur.