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LA ROBE DE SOIE


L’hiver, sans être rude, était malsain, humide ;
Il s’élevait du Rhône un lourd brouillard fétide
Et la toux de l’enfant débile redoublait ;
On ne lui donnait plus tout ce qu’il lui fallait ;
On épargnait le feu, le vin, la nourriture,
— Ce qui faisait pâlir la frêle créature.

La troisième semaine, on songe, avec des pleurs,
Au Mont-de-Piété, calvaire de douleurs
Que gravit la misère honnête ou la débauche.
Et Jacques, apprenti que le malheur embauche,
Furtivement s’en va, lorsque tombe le soir,
Au guichet dévorant livrer tout son avoir :
Sa montre qui réglait sa vie et ses batailles,
Et les pendants d’oreille, au temps des fiançailles,
Donnés à sa compagne ; enfin, les vêtements
Qu’il portait le dimanche et les seuls ornements
Dont un ouvrier probe avec orgueil se pare.
Tout y passe : la main de l’expert s’en empare,
Jette au pauvre honteux un papier de couleur ;
Lui, la casquette sur les yeux, comme un voleur
S’enfuit, en son gousset cachant la maigre somme.
Bientôt, le matelas où Jacques fait son somme,
Les chemises, le linge et jusqu’aux draps de lit
Tombèrent dans ce gouffre où tout s’ensevelit…

Rien !… Il ne possédait plus rien, dans sa demeure,
Que la fierté : Plutôt que mendier, je meure !