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elles sont propres et bordées, dans la partie centrale, de magnifiques habitations, de riches magasins devant lesquels s’arrête une affluence de curieux. La rue la plus fréquentée est la Yonge Street, qui part du lac Ontario et se prolonge à l’infini. Les grandes voies de communication, que sillonnent de nombreux tramways, sont garnies de pavés de bois ; c’est la ville la mieux entretenue de tout le Dominion.

C’est à Toronto que la race noire commence à entrer en ligne. Au Queen’s hôtel, qui, soit dit en passant, est le meilleur que nous ayons trouvé au Canada au point de vue de la table, le service de bouche est fait exclusivement par des nègres. Ceux-ci ont la tête rasée ; aussi est-il facile d’observer la variété en même temps que la difformité de leurs boîtes osseuses qui semblent justifier la parenté de l’homme avec le singe. L’hôtel est rempli de serviteurs couleur chocolat, et l’un d’eux, assis sur une chaise, froisse avec gravité certains petits papiers destinés à rejoindre le sonnet d’Oronte.

Non loin de l’hôtel se trouve la Queen’s Street, qui pourrait bien s’appeler la rue aux Fruits, tant on en voit dans les boutiques. Un commerce assez bizarre est celui des cercueils. Des magasins en exposent dans leurs vitrines, de toute forme et de tout bois. Il y en a qui paraissent fort coquets et doivent sans doute tenter le passant. Sur les murs et les clôtures en planches s’étalent les gigantesques affiches de Barnum, dont le cirque est dans la ville. À côté, on lit cette enseigne énigmatique : Politesse et propreté sur le Pacifique canadien. Cela donne à croire qu’il n’en est pas de même sur les autres lignes. Enfin, dominant le tout, apparaît Sozodont, l’homme à la poudre dentifrice, dont le nom seul doit suffire à toute explication.

Le soir les principales rues sont éclairées à la lumière électrique. Les autres doivent se contenter de becs de gaz fortement espacés ; aussi ces rues sont-elles passablement noires, d’autant plus que les boutiques sont fermées après le dîner. Beaucoup de magasins ne mettent pas de volets devant leurs vitrines, ayant confiance dans la sagesse de tous. Jusque vers 9 heures du soir on circule dans la Yonge Street ; mais, à ce moment, on dirait qu’une machine pneumatique a fait le vide.

Une longue avenue plantée conduit au Parc, vaste superficie gazonnée et couverte d’arbres par-ci par-là. À l’entrée, un carré