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au canada et chez les peaux-rouges

nairement si fréquenté, était sans animation, les escaliers et les couloirs silencieux et déserts. Au salon se trouvaient un piano et deux dames anglaises. À peine l’harmonieux instrument eut-il fait entendre quelques accords, qui pour n’être pas bibliques, n’appartenaient cependant pas au répertoire d’Offenbach, que les deux puritaines filles d’Albion se levèrent d’un air shocking et se replièrent en bon ordre vers leurs appartements. Par une condescendance exagérée, le piano se tut. Nous n’étions que deux à ce moment ; nous nous mîmes à la fenêtre du grand salon qui donne sur le pont du canal Rideau. C’était au beau milieu de la journée. Au bout d’un quart d’heure, nous n’avions vu passer que quelques chiens en rupture de laisse. Tout à coup une forme humaine apparaît à l’angle d’une rue. C’est un policeman qui s’avance à pas lents et d’un air morne. Il lève la tête vers l’hôtel, ouvre une large bouche, laisse échapper un formidable bâillement, qu’aucun obstacle n’eût pu retenir, et disparaît au tournant de la rue.

Pour se rendre d’Ottawa à Toronto il faut pénétrer au cœur de la province d’Ontario, le rempart de la nationalité anglaise au Canada. Le pays est assez peuplé, cultivé en beaucoup d’endroits, bien que l’on aperçoive encore des champs en friche, des forêts inexploitées et une infinité de petits étangs. Si l’on établit une comparaison entre les deux provinces de Québec et d’Ontario, on remarque que, toutes proportions gardées, la première est plus commerçante et la deuxième plus industrielle et plus agricole. Ontario exporte du grain non seulement à l’étranger, mais encore à Québec. Sa supériorité tient surtout aux procédés de culture et à l’outillage, car le sol des deux provinces est le même.

La province d’Ontario est la plus riche, la plus prospère et la plus peuplée de la Confédération. Elle possédait en effet, en 1881, 1,923,000 habitants, de race anglaise pour la plupart,[1] sur un total de 4,324,000 que renferme le Canada. Aussi a-t-elle avec le nombre et la richesse, l’influence et la domination. Toronto, sa capitale, fondée en 1793, et dont la population dépasse aujourd’hui 100,000 âmes, est assise sur les bords du lac Ontario. Centre d’un commerce très important avec les États-Unis, elle est, après Montréal, la seconde ville du Dominion. Ses rues sont tracées en damier ; à l’inverse de celles d’Ottawa,

  1. La population française n’était que de 102,743 habitants