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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

qu’il met de côté. Puis, renouant le sac, toujours avec la même délicatesse, il retourne sur sa banquette prendre une pose aussi calme qu’indifférente, après avoir eu soin de placer dans sa valise fermée à clef, le précieux minerai qu’il vient de nous soustraire avec un naturel si touchant. On n’est pas plus Américain. Notre ami G. Tiret-Bognet, qui avait assisté à cette petite scène, croqua sur son album la silhouette du monsieur à l’air distingué, que nous sûmes depuis être M. F.-R. R., ingénieur du gaz.

Laissant Field en arrière, nous suivons une étroite vallée entourée de montagnes, disparaissant sous l’épaisse chevelure des pins. On travaille à l’entretien de la voie, et, comme dans ces parages déserts, les restaurants font quelque peu défaut, les ouvriers prennent leur pension dans un boarding-car, wagon de forte dimension placé sur une voie d’évitement.

Au delà de Palliser et de ses cinq maisons de bois, le paysage redevient fort pittoresque jusqu’à Golden City. Il faut franchir cinq fois la rivière et traverser quatre tunnels de forme courbe. L’un d’eux est pourvu, sous la voûte, d’un revêtement en bois en vue d’éviter les infiltrations. Nous sommes engagés dans un long et sinueux défilé encaissé dans de majestueuses montagnes boisées à la base, mais se terminant par des parois à pic entièrement dégarnies. Malheureusement les sapins ont été brûlés sur de grandes étendues et l’aspect de ces hautes tiges noircies et dépourvues de feuilles est profondément triste. La rivière, dans ses brusques évolutions, ronge tantôt une rive, tantôt l’autre, ce qui oblige le chemin de fer à se frayer un passage dans le vif de la roche tour à tour granitique, ardoisée et charbonneuse. En certains endroits les parois de la montagne sont perforées et parsemées de rayures fort curieuses. Parfois le rocher est formé par du bois pétrifié et, d’un simple coup d’œil, on peut reconnaître la trace des rainures ligneuses.

Mais la voie ferrée n’a pas à surmonter seulement des obstacles granitiques ; il lui faut encore lutter contre les éboulements de gravier, les affaissements de la montagne, qui parfois déverse jusque par-dessus la voie des masses de boue. Le cas venait précisément de se présenter à la suite de pluies fréquentes et la circulation avait été momentanément interrompue au moment de notre passage. Ces obstacles de