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AU CANADA ET CHEZ LES PEAUX-ROUGES

autour d’une tablette, chacun muni de son gobelet et de son plat d’étain venait recevoir la part que lui délivrait notre chef de popote. Notre meilleur accommodement était fait de bons mots et entretenu par un feu roulant de plaisanteries absolument nécessaire pour rompre la monotonie du trajet, et cet assaisonnement en valait bien un autre.

Mais parfois nous descendions prendre part au repas du commun des mortels. Une baraque en bois, à la porte de laquelle s’agite violemment une sonnette, ou se fait entendre un charivari (quelquefois les deux ensemble quand il y a concurrence) pour attirer les voyageurs, est le lieu de rendez-vous des dîneurs. À quelque heure du jour que ce soit, on a toujours le même menu. Un rôti plus ou moins dur, une conserve de poisson ou de légumes, une tarte aux fruits et du thé, voilà ce que l’on trouve sur toute la ligne pour le prix classique d’une demi-piastre (2 fr. 50 c.), somme relativement modérée pour le pays que nous traversons.

Après une seconde nuit en chemin de fer depuis notre départ du Manitoba, nuit toujours éclairée par des feux de prairie dont la fumée âcre pénètre, faute de vent pour la dissiper, jusque dans notre wagon, nous nous réveillons encore dans la plaine couverte d’herbe jaunie. Nous passons à Crowfoot (Pied de Corbeau), qui a pris son nom du chef de la tribu des Pieds-Noirs, dont la réserve se trouve dans le voisinage, à Gleichen, bourgade de deux maisons et de huit cabanes, et nous commençons enfin à apercevoir, à plus de 100 milles de distance, les sommets neigeux des Montagnes Rocheuses.

Plusieurs stations défilent encore au milieu d’un paysage ondulé, mais toujours monotone et dénudé. Tout à coup le décor se transforme : on aperçoit des arbres, une rivière que l’on franchit sur un pont de fer, une rangée de baraques et de maisons, des Indiens et une Indienne parée d’une superbe robe vert clair, les jaquettes rouges de la police montée, des cavaliers et des amazones passant la rivière à gué et se dirigeant en toute hâte vers la station de Calgary, où nous descendons après cinquante-trois heures de chemin de fer depuis Winnipeg.

Nous trouvons à la gare une foule véritable qui profite du dimanche et de l’arrivée du train pour se montrer. Il y a là un joli méli-mélo de mineurs, de cow-boys (gardiens de bestiaux) en tenue de travail,